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LE SOUPER CHEZ LE COMMANDEUR.

fondeur de votre science a tellement occupé les hommes depuis cinquante ans, qu’il s’est répandu sur vous les histoires les plus contraires. Les uns ont écrit que vous aviez toujours travaillé sous l’inspiration du Seigneur ; d’autres ont prétendu que la force des miracles habitait en vous, et que c’était le diable qui vous l’avait vendue au prix de votre éternité. Enfin, mon noble aïeul, les poètes, qui préfèrent le merveilleux au vrai, et souvent dédaignent l’histoire d’un grand homme pour sa légende, les poètes ont fait de vous un alchimiste étudiant au fond d’un obscur laboratoire les forces mystérieuses de la nature, et travaillant jour et nuit à mélanger les contraires. Certes, je n’ai jamais douté de votre foi complète en la sainte religion du Christ, et cependant, lorsque j’avais par hasard feuilleté le soir ces étranges volumes, je ne pouvais m’endormir avant d’avoir prié long-temps pour votre ame. Ah ! que je suis heureux de serrer la main à mon vénérable aïeul, le docteur Onufro, et de ne pas trouver sur lui cette flamme du purgatoire qu’ils ont peinte là-bas sur son image. Savez-vous que les poètes sont des gens bien sacrilèges, de faire ainsi causer avec Satan des hommes que Dieu place à sa droite, et dont il se sert comme d’archanges pour instruire la terre !

Le docteur Onufro.

Du temps que j’étais médecin à Burgos, lorsqu’on venait m’appeler la nuit pour un malade, je laissais mes livres d’étude et mon laboratoire, et que le ciel fût orageux ou serein, je traversais la ville portant secours à mes frères. Aujourd’hui que je suis statue, il n’en est plus de même, et mon corps ne s’émeut qu’à la voix du Tout-Puissant. J’ai changé de maître ; autrefois j’étais le serviteur des hommes, je suis à présent le serviteur de Dieu. Hier au soir, la pensée est descendue en moi, et mon cerveau de pierre a compris ce que mes yeux lisaient en vain depuis cent ans. Je recommençais déjà mes anciennes études, lorsque tout à coup, en feuilletant mon livre, j’ai découvert une page inconnue, et telle était la splendeur de cette page, qu’on eût dit que le Seigneur lui-même l’avait écrite avec la plume d’un archange. Mais comme la révélation n’était pas pour moi seul, et que Dieu m’ordonnait de venir t’en faire part à toi, mon neveu le commandeur, je me suis levé de mon piédestal, et j’ai traversé la campagne tête nue et por-