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— À l’Opéra, la représentation de Nourrit a été des plus brillantes. La Dame Blanche a produit son effet accoutumé. Dès les premières mesures de l’air de Nourrit, l’enthousiasme était au comble, et les bravos ont éclaté plus spontanés et plus bruyans que s’il s’était agi de sa symphonie en ut mineur ou d’une cavatine de Cimarosa ; et pourtant cet air commun et trivial est, sans contredit, le plus faible morceau de cet ouvrage, plein de grâce et de fraîcheur, et dans lequel se trouvent des beautés incontestables. La Dame Blanche n’est pas une œuvre complètement originale, elle relève plus ou moins de Rossini ; la mélodie est souvent italienne, l’orchestre vide et peu soigné ; mais, malgré tous ces défauts, cette partition restera, parce qu’elle offre des chants heureux et des motifs écrits avec un sentiment profond et vrai. La Dame Blanche est une œuvre de conscience, et Boieldieu un homme d’esprit et de talent qu’il faut bien se garder de confondre avec les musiciens d’aujourd’hui ; il n’a fait, après tout, qu’ordonner ses compositions sur celles du grand maître, il a pris la forme et non l’idée, comme font certains compositeurs : il l’a imité, les autres le volent. La Vestale a été moins heureuse ; un air de Boieldieu suffisait pour épuiser toutes les sensations musicales, et bien des gens regrettaient à la fin que le spectacle ne se fût pas terminé par l’acte de la Dame Blanche, car cette savante musique de Spontini avait troublé leurs douces impressions, et comme enveloppé ces chants légers et gracieux qui déjà commençaient à se réveiller dans leurs cerveaux. Voilà pourtant comme on a fait notre public : on l’a tellement accoutumé à ces musiques faciles et vulgaires, qu’il ne se donne plus la peine de comprendre une œuvre sérieuse, et toute composition originale qui ne procède pas par les moyens usités depuis six ans est pour lui une fugue inextricable.

Ce soir-là, faute de sentir les beautés grandioses de l’école de Gluck, il s’ennuyait mortellement, et vous entendiez des gens très sensés vous dire que la Vestale était une musique trop savante pour des oreilles françaises. Or ce qui fait depuis trente ans la gloire de la Vestale en France comme en Allemagne, c’est la mélodie, rien que la mélodie, car pour la science, c’est une œuvre au niveau, peut-être même au-dessous de la Dame Blanche. Le chant abonde dans la Vestale, seulement il est le plus souvent privé du rythme dont les Italiens se sont fait de nos jours un moyen d’effet si puissant ; mais n’importe, pour être plus latente, la mélodie n’en existe pas moins : il s’agit de vouloir la chercher. Il n’est rien dans Gluck de plus frais et de plus pur que le chœur des vestales au premier acte ; c’est là un chant heureux et simple et plein de mélancolie virgilienne. Après les fatigues du soir et toutes les austérités du sanctuaire, c’est ainsi que devaient rêver et se plaindre les jeunes filles du Latium. Mlle Falcon a très bien compris le caractère de la jeune prêtresse ; l’expression douce et triste de son visage répandait une teinte charmante sur les premières scènes. C’était une chose intéressante de voir cette jeune fille, hier encore à ses débuts, s’aventurer aujourd’hui seule et sans tradition dans cette grande musique. Elle a joué la Vestale