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REVUE DES DEUX MONDES.


xi.
Le réveil.


Il y avait une heure que je dormais. Il était quatre heures du matin : c’était le 17 août, je ne l’ai pas oublié. Tout à coup mes deux fenêtres s’ouvrirent à la fois, et toutes leurs vitres cassées tombèrent dans ma chambre avec un petit bruit argentin fort joli à entendre. J’ouvris les yeux et je vis une fumée blanche qui entrait doucement chez moi et venait jusqu’à mon lit en formant mille couronnes. Je la reconnus aussi vite à sa couleur qu’à son odeur. Je courus à la fenêtre. Le jour commençait à poindre et éclairait de lueurs tendres tout ce vieux château immobile et silencieux encore et qui semblait dans la stupeur du premier coup qu’il venait de recevoir. Je n’y vis rien remuer. Seulement le vieux grenadier placé sur le rempart et enfermé là au verrou, selon l’usage, se promenait très vite, l’arme au bras, en regardant quelque chose du côté des cours. Il allait comme un lion dans sa cage.

Tout se taisant encore, je commençais à croire qu’un essai d’armes fait dans les fossés avait été cause de cette commotion, lorsqu’une explosion plus violente se fit entendre ; je vis naître en même temps un soleil qui n’était pas celui du ciel et qui se levait sur la dernière tour, du côté du bois. Ses rayons étaient rouges et à l’extrémité de chacun d’eux il y avait un obus qui éclatait ; devant eux un brouillard de poudre. Cette fois le donjon, les casernes, les tours, les remparts, le village et le bois tremblèrent et parurent glisser de gauche à droite et revenir comme un tiroir ouvert et refermé sur-le-champ. Je compris en ce moment les tremblemens de terre. Un cliquetis pareil à celui que formeraient toutes les porcelaines de Sèvres, jetées par la fenêtre, me fit parfaitement comprendre que de tous les vitraux de la chapelle, de toutes les glaces