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nistre improvisé par une conspiration, je veux dire par une révolution qu’il avait mise en train, et qui venait de tout abattre.

L’effroi de M. Guizot fut grand. Quel embarras qu’une situation si inattendue pour un homme qui ne s’aventure pas ordinairement dans les affaires, sans chercher à imprimer à leur marche une direction rationnelle ! Dans les comités de la société populaire qu’il présidait, pendant la dernière année de la restauration, le rôle de M. Guizot n’avait pas été difficile. Dans les premiers temps d’abord, il avait envahi les bureaux, avec ses jeunes amis du Globe, et leurs doctrines passaient sans opposition dans les brochures et les lettres aux électeurs, qui coulaient sans interruption de ce petit foyer. Tant qu’il n’avait été question d’ailleurs que de préparer les choix des collèges et d’influencer les votes, la plume de M. Guizot et celles de ses amis avaient été trouvées assez fermes et assez bonnes ; mais plus tard, quand la lutte s’engagea plus vivement, quand il fut question de protester, de refuser l’impôt, et peut-être d’agir d’une façon encore plus positive, le camp du Globe déclara que sa campagne était finie, et que puisqu’il pouvait être question, d’un jour à l’autre, de tirer l’épée du fourreau, il se devait, au nom de l’esprit de paix et de légalité qui l’animait, de se séparer de ceux qui méditaient une telle entreprise. Tous les membres de la société Aide-toi qu’on désignait sous le nom de doctrinaires, se retirèrent en effet. M. Guizot seul resta, et continua de venir, presque chaque soir, présider le conseil de cette association où ne siégeaient plus que les ennemis les plus fougueux des Bourbons. Il faut se hâter de dire que tout se passa dans les limites légales, et que, si on conspira la chute de la monarchie de Charles x en présence de M. Guizot, ce ne fut que par des vœux dont il reconnaissait la justice sans toutefois les partager.

Le trône une fois tombé, M. Guizot, soit qu’il eût désiré ou craint sa chute, se trouva poussé par le torrent révolutionnaire au milieu duquel il s’était lancé volontairement ; engagé, en quelque sorte, avec tous les jeunes gens ardens qu’il avait aidés, peut-être sans le vouloir, dans leur entreprise ; ses amis, ceux qui partageaient sa pensée véritable, restés loin de lui sur le rivage, et lui, emporté sur une barque périlleuse qu’il ne dirigeait plus. Il faut convenir que M. Guizot eut, en ces jours-là, toute l’intrépidité néces-