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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

sionomie de toutes les contrées du globe, et d’empoisonner toutes les jouissances des promeneurs contemplatifs par leur oisive inquiétude et leurs sottes questions.

Je retournai à la troisième grotte ; c’est celle qui arrête le moins l’attention des curieux, et c’est la plus belle. Elle n’offre ni souvenirs dramatiques, ni raretés minéralogiques. C’est une source de soixante pieds de profondeur, qu’abrite une voûte de rochers, ouverte sur le plus beau jardin naturel de la terre. De chaque côté se resserrent des monticules d’un mouvement gracieux et d’une riche végétation.

En face de la grotte, au bout d’une perspective de fleurs et de pâle verdure, jetées comme un immense bouquet que la main des fées aurait délié et secoué sur le flanc des montagnes, s’élève un géant sublime, un rocher perpendiculaire, taillé par les siècles et par les orages sur la forme d’une citadelle flanquée de ses tours et de ses bastions. Ce château magique, qui se perd dans les nuages, couronne le tableau frais et gracieux du premier plan d’une sauvage majesté. Contempler ce pic terrible du fond de la grotte, au bord de la source, les pieds sur un tapis de violettes, entre la fraîcheur souterraine du rocher et l’air chaud du vallon, c’est un bien-être, c’est une joie que j’aurais voulu me retirer pour te l’envoyer.

Des roches éparses dans l’eau s’avancent jusqu’au milieu de la grotte. Je parvins à la dernière et me penchai sur ce miroir de la source, transparent et immobile, comme un bloc d’émeraude. Je vis au fond une figure pâle dont le calme me fit peur. J’essayai de lui sourire, et elle me rendit mon sourire avec tant de froideur et d’amertume, que les larmes me vinrent aux yeux, et que je me relevai pour ne plus la voir. Je restai debout sur la roche, les bras croisés. Le froid me gagna peu à peu. Il me sembla que moi aussi je me pétrifiais. Il me revint à la mémoire je ne sais quel fragment d’un livre inédit. « Toi aussi, vieux Jacques, tu fus un marbre solide et pur, et tu sortis de la main de Dieu, fier et sans tache comme une statue neuve sort toute blanche de l’atelier, et monte sur son piédestal d’un air orgueilleux. Mais te voilà rongé par le temps, comme une de ces allégories usées qui se tiennent encore debout dans les jardins abandonnés. Tu décores très bien le désert, pourquoi sembles-tu t’ennuyer de la solitude ? Tu trouves l’hiver rude