Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/411

Cette page a été validée par deux contributeurs.
405
LETTRES D’UN VOYAGEUR.

donc, disait un pieux et tendre rêveur, ce jeune homme qui s’inquiète tant de la blancheur des marbres ?

Comme ce fleuve des montagnes que j’entends mugir dans les ténèbres, tu es sorti de ta source plus pur et plus limpide que le cristal ; et tes premiers flots n’ont réfléchi que la blancheur des neiges immaculées. Mais effrayé sans doute du silence de la solitude, tu t’es élancé sur une pente rapide, tu t’es précipité parmi des écueils terribles, et du fond des abîmes, ta voix s’est élevée comme le rugissement d’une joie âpre et sauvage.

De temps en temps, tu te calmais en te perdant dans un beau lac, heureux de te reposer au sein de ses ondes paisibles et de refléter la pureté du ciel. Amoureux de chaque étoile qui se mirait dans ton sein, tu lui adressais de mélancoliques adieux, quand elle quittait l’horizon.


Dans l’herbe des marais un seul instant arrête,
Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux.


Mais bientôt las d’être immobile, tu poursuivais ta course haletante parmi les rochers, tu les prenais corps à corps, tu luttais avec eux, et quand tu les avais renversés, tu partais avec un chant de triomphe sans songer qu’ils t’encombraient dans leur chute et creusaient dans ton sein des blessures profondes.

L’amitié s’était enfin révélée à ton cœur solitaire et superbe. Tu daignas croire à un autre qu’à toi-même, orgueilleux infortuné ! tu cherchas dans son cœur le calme et la confiance. Le torrent s’apaisa et s’endormit sous un ciel tranquille. Mais il avait amassé dans son onde tant de débris arrachés à ses rives sauvages, qu’elle eut bien de la peine à s’éclaircir. Comme celle de la Brenta, elle fut long-temps troublée et sema la vallée qui lui prêtait ses fleurs et ses ombrages de graviers stériles et de roches aiguës. Ainsi fut long-temps tourmentée et déchirée la vie nouvelle que tu venais essayer. Ainsi le souvenir des turpitudes que tu avais contemplées vint empoisonner de doutes cruels et d’amères pensées les pures jouissances de ton ame encore craintive et méfiante.

Ainsi ton corps, aussi fatigué, aussi affaibli que ton cœur, céda au ressentiment de ses anciennes fatigues, et comme un beau lis se