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LE CHEVALIER DU COUËDIC.

çoit plus que quelques débris flottant çà et là autour du gouffre qu’a creusé l’explosion, et que les vagues frémissantes viennent envahir de nouveau.

En ce moment, à quarante toises à peine du Quebec, la Surveillante fut couverte des débris enflammés lancés en l’air. La double impulsion des vagues repoussées du lieu où s’est faite l’explosion, puis revenant combler l’abîme entrouvert, la fait chanceler, vaciller quelques instans. Ébranlée dans toutes ses jointures, elle menace de se briser, pour ainsi dire de se dissoudre ; l’équipage en demeure troublé, jusqu’à ce que la voix du capitaine le rappelle à la manœuvre. On rejette à la mer les débris du Quebec. On abandonne les avirons de galère devenus inutiles au moins pour le moment, afin d’avoir un plus grand nombre de bras aux pompes. Les cloisons sont abattues ; des puits sont creusés ; de nombreux seaux, portés de main en main, vont rendre à la mer l’eau qu’ils puisent à la cale : l’eau cesse de monter, devient stationnaire, et enfin commence même à diminuer, quoique d’abord d’une façon peu sensible. L’espoir, qui renaît au fond des cœurs, n’en donne pas moins une vigueur nouvelle aux bras engourdis, épuisés. Allégée de ce qu’elle renfermait de pesant, en partie vidée de l’eau qui la remplissait, la frégate s’élève de plus en plus au-dessus du niveau de la mer ; sa ligne de flottaison, presque la même qu’avant le combat, permet d’apercevoir à découvert d’innombrables trous de boulet, ses glorieuses blessures. De l’étoupe, des planches, des plaques de cuivre, habilement et activement employées, bouchent bientôt le plus grand nombre de ces voies d’eau. À six heures la frégate ne fait presque plus d’eau de nulle part ; mais le moindre choc des vagues, si le vent venait à les soulever, ne l’en ferait pas moins couler aussitôt.

De l’équipage de la Surveillante, comme de la Surveillante elle-même, il ne restait, pour ainsi dire, plus que quelques sanglans débris. Des deux cent soixante-dix hommes qui le formaient, cent cinquante étaient morts ou mourans ; soixante étaient déjà mutilés, ou devaient le devenir par suite d’amputations ; une soixantaine d’hommes environ, dont vingt-cinq avaient des blessures plus ou moins graves, restaient seuls debout. Sans le secours d’une quarantaine d’Anglais, échappés à la nage du Quebec, ou recueillis