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LE CHEVALIER DU COUËDIC.

vices à la mer ; le sacrifice n’était donc point encore réparé. Ainsi, zélé pour le bien du service, pour la gloire de la marine française, Du Couëdic ne l’était pas moins pour sa propre gloire. Présidant à la construction de la Surveillante, appuyé un jour au bordage de la frégate, et l’un de ses amis survenant, il lui avait dit en caressant le navire de la main : « Voilà ce qui doit devenir pour moi un char de triomphe ou bien un cercueil. »

George Farmer et Du Couëdic étaient donc à peu près du même âge : ils commandaient des bâtimens de force égale ; leurs équipages, également d’élite, étaient animés d’une ardeur semblable. Tous deux inspiraient une confiance sans bornes à leurs chefs et à leurs subordonnés. En un mot, le même hasard qui amenait dans la même arène ces deux adversaires vraiment dignes l’un de l’autre, leur mettaient en main des armes rigoureusement, et, pour ainsi dire, scrupuleusement égales.

À la pointe du jour, le 6 octobre, les deux frégates se trouvèrent en vue. Le vent venait de l’est, petit frais ; la mer était belle. Les signaux d’usage, faits à trois lieues de distance, leur apprirent qu’elles étaient ennemies. Chacune arbore son pavillon et l’assure par un coup de canon ; puis, pour avoir le temps de se préparer à l’action, les deux commandans font aussitôt diminuer de voiles. On abat les cloisons intermédiaires des batteries ; on prépare la poudre, les boulets, la mitraille, les armes de toutes sortes ; commandans, officiers, chirurgiens, matelots, sont à leur poste. Le silence devient solennel, religieux, à peine interrompu de temps à autre par la voix brève et forte de l’officier de quart.

À bord du Quebec, George Farmer se multiplie. Il parcourt à diverses reprises les rangs de ses matelots ; il leur rappelle leurs exploits dans les mers de l’Inde, les exhorte à ne pas dégénérer ; il leur promet des récompenses. Rien n’est négligé par lui de ce qui peut soutenir et enflammer le courage de ses braves compagnons.

À bord de la Surveillante, au moment où tous les préparatifs du combat sont terminés, l’aumônier, sur l’invitation de Du Couëdic, se présente sur le pont. Pour se faire mieux entendre, il monte sur l’affût d’un canon. Puis, de cette chaire d’espèce nouvelle, il adresse quelques paroles d’exhortation aux marins qui se pressent autour de lui le front découvert. Il les encourage à soutenir vail-