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nue d’un train merveilleux, montés par deux petits postillons poudrés et roses, très jolis, et si petits, qu’on ne voyait de loin que leurs grosses bottes à l’écuyère. Ils portaient de gros bouquets à leur jabot, et les chevaux portaient aussi de gros bouquets sur l’oreille.

Ne voilà-t-il pas que l’écuyer qui courait devant les chevaux s’arrêta précisément devant la porte de monsieur le curé, où la voiture eut la bonté de s’arrêter aussi, et daigna s’ouvrir toute grande. Il n’y avait personne dedans. Comme Pierrette regardait avec de grands yeux, l’écuyer ôta son chapeau très poliment, et la pria de vouloir bien monter en carrosse.

Vous croyez peut-être que Pierrette fit des leçons ? Point du tout. Elle avait trop de bon sens pour cela. Elle ôta simplement ses deux sabots, qu’elle laissa sur le pas de la porte, mit ses souliers à boucle d’argent, ploya proprement son ouvrage, et monta dans le carrosse en s’appuyant sur le bras du valet de pied, comme si elle n’eût fait autre chose de sa vie, parce que, depuis qu’elle avait changé de robe avec la reine, elle ne doutait plus de rien.

Elle m’a dit souvent qu’elle avait eu deux grandes frayeurs dans la voiture : la première, parce qu’on allait si vite, que les arbres de l’avenue de Montreuil lui paraissaient courir comme des fous l’un après l’autre ; la seconde, parce qu’il lui semblait qu’en s’asseyant sur les coussins blancs du carrosse, elle y laisserait une tache bleue et jaune de la couleur de son jupon. Elle le releva dans ses poches et se tint toute droite au bord du coussin, nullement tourmentée de son aventure, et devinant bien qu’en pareille circonstance il est bon de faire ce que tout le monde veut, franchement et sans hésiter.

D’après ce sentiment juste de sa position, que lui donnait une nature heureuse, douce et disposée au bien et au vrai en toute chose, elle se laissa parfaitement donner le bras par l’écuyer, et conduire à Trianon, dans les appartemens dorés, où seulement elle eut soin de marcher sur la pointe du pied, par égard pour les parquets de bois de citron et de bois des Indes, qu’elle craignait de rayer avec ses clous.

Quand elle entra dans la dernière chambre, elle entendit un petit rire joyeux de deux voix très douces, ce qui l’intimida bien