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IMRESSIONS DE VOYAGES.

de cette langue dont la construction et l’accent sont le mieux restés dans ma mémoire : elle me l’accorda de fort bonne grâce.

Le château de Reichenbach eut ensuite notre visite. Une tradition moitié historique, moitié poétique, comme toutes les traditions suisses, s’y rattache. C’est là que le vieux Rodolphe d’Erlac se reposait de ses travaux guerriers et passait les derniers jours d’une vie si utile à sa patrie et si honorée de ses concitoyens. Un jour, son gendre Rudenz vient le voir, comme il avait l’habitude de le faire ; une discussion s’engage entre le vieillard et le jeune homme sur la dot que le premier devait payer au second. Rudenz s’emporte, saisit à la cheminée l’épée du vainqueur de Laupen, frappe le vieillard qui expire sur le coup, et se sauve. Mais les deux chiens de Rodolphe, qui étaient à l’attache de chaque côté de la porte, brisent leurs chaînes, poursuivent le fugitif dans la montagne, et reviennent deux heures après couverts de sang : on ne revit jamais Rudenz.

Le jeune homme qui nous raconta cette anecdote revenait à Berne : il nous proposa de faire route avec lui ; nous acceptâmes. Chemin faisant, nous lui dîmes ce que nous avions déjà vu, et nous nous informâmes près de lui s’il ne nous restait pas quelque chose à voir. Il se trouva que nous avions déjà exploré à peu près toute la partie pittoresque de la ville ; cependant il nous proposa de faire un petit circuit et de rentrer à Berne par la tour de Goliath.

La tour de Goliath est ainsi nommée, parce qu’elle sert de niche à une statue colossale de saint Christophe.

Comme cette dénomination ne doit pas paraître au lecteur beaucoup plus conséquente qu’elle ne me le parut à moi-même, je vais lui expliquer incontinent quelle analogie il existe entre le guerrier philistin et le pacifique Israélite.

Vers la fin du xve siècle, un riche et religieux seigneur fit don à la cathédrale de Berne d’une somme considérable, qui devait être employée à l’achat de vases sacrés. Cette disposition testamentaire s’exécuta religieusement, et un magnifique saint-sacrement fut acheté et renfermé dans le tabernacle. Possesseurs de cette nouvelle richesse, les desservans de l’église pensèrent aussitôt aux moyens de la mettre à l’abri de tout accident. On ne pou-