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cris plaintifs contre l’illégalité des moyens qu’on avait employés pour opérer son arrestation.

Cependant, comme on pensa qu’un pareil accident pourrait se renouveler, et ne finirait peut-être pas une seconde fois d’une manière aussi pacifique, le conseil de Berne décréta qu’on transporterait les ours hors de la ville, et qu’on leur bâtirait deux fosses dans les remparts.

Ce sont ces deux fosses qu’ils habitent aujourd’hui, et dont la construction est venue réduire de moitié leur capital, car elle coûta 30,000 fr. ; et pour se procurer cette somme, il fallut qu’ils laissassent prendre une inscription de première hypothèque sur leur propriété.

Aussitôt que j’eus consigné tous ces détails sur mon album, nous nous remîmes en route pour achever nos courses à l’entour de Berne. Une magnifique allée d’arbres s’offrait à nous ; nous la suivîmes comme le faisait tout le monde. Au bout d’une heure de marche, nous passâmes l’eau sur un bateau, et nous nous trouvâmes au Reichenbach, entre une joyeuse et bruyante guinguette suisse, et le vieux et morne château de Rodolphe d’Erlac ; l’une nous offrait un bon déjeuner, l’autre un grand souvenir ; la faim prit le pas sur la poésie : nous entrâmes à la guinguette.

C’est une admirable chose qu’une guinguette allemande pour quiconque aime la walse et la choucroute. Malheureusement je ne pouvais jouir que de l’un de ces plaisirs.

Aussi à peine eus-je déjeuné tant bien que mal, que je me jetai au milieu de la salle de danse, offrant à la première paysanne qui se trouva près de moi ma main, qu’elle accepta sans trop de façon, bien que j’eusse des gants, luxe tout-à-fait inconnu dans cette joyeuse assemblée. Je partis aussitôt, saisissant du premier coup la mesure de cette walse balancée et rapide, comme si toutes mes études avaient été dirigées du côté de cet art. Il est vrai de dire que l’orchestre nous secondait merveilleusement, quoique composé entièrement de musiciens de village, qui jouaient de je ne sais quels instrumens ; et je dois dire qu’aucun de nos orchestres parisiens ne m’a jamais paru mieux approprié à cette danse.

La walse finie, je demandai à ma danseuse, en allemand très intelligible, la permission de l’embrasser ; c’est l’une des phrases