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MORALE DE BENTHAM.

joncture, qu’il leur faut, ou aboutir par la science et les idées à de grandes destinées, ou mourir. Puisque la raison européenne, prenant pour appui les affirmations mêmes de la foi chrétienne, s’est mise à vouloir comprendre toutes les choses humaines et à les vouloir mener, elle n’a plus d’autre issue que la poursuite de ce dessein ; depuis le XIIe siècle, elle a tort, ou elle doit finalement triompher. Puisque le bonheur social s’est présenté à la raison comme un but légitime, ce bonheur doit être élaboré par des efforts progressifs qui lui cherchent à la fois des satisfactions nécessaires et des conditions plus hautes. Or, pour saisir le bonheur, la raison européenne ne saurait abandonner l’immortalité, pas plus que le principe du droit. Elle gravite au contraire vers une solution immense et complète qui exprimera l’identité de la religion et du droit, la réconciliation du droit et du bonheur, la concordance ternaire du droit, du bonheur et de l’immortalité, trouvant sa racine et sa vie dans une nouvelle unité. Pour ce vaste travail ne dirait-on pas que les nations ont décrété entre elles une division instinctive ? Le bonheur matériel et positif semble jusqu’à présent avoir été le principal souci de l’illustre et confortable Angleterre ; plus que tout autre peuple, elle a les grands procédés de l’industrie et les savantes théories de l’économie politique. L’Allemagne[1], patrie du rationalisme et de l’idéalisme, a prêté au désir ardent de l’immortalité l’impulsion de son intelligence et les sublimes élans d’une pensée mélancolique que la terre ne satisfait pas. La France se remue, agit et souffre pour la cause du droit ; il est dans son génie de vouloir appliquer aux choses humaines le droit et la raison par la logique et le dévouement. Cependant les instincts et les conquêtes des nations se mêlent et s’échangent ; Londres et Paris s’envoient des indications

  1. Rien n’est plus important pour la France que de connaître avec exactitude et netteté les traits caractéristiques de la civilisation allemande, et il faut que de tous côtés les renseignemens les plus divers lui arrivent ; plus aujourd’hui on écrira sur l’Allemagne, plus on facilitera les rapports intelligens et pacifiques des deux peuples. C’est dans cette pensée que nous préparons maintenant un ouvrage qui aura pour objet la civilisation morale et politique de l’Allemagne, et qui aura pour titre : Au-delà du Rhin.