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remué tous les sillons de la science sociale avec l’instrument du principe utilitaire.

Novateur, Bentham ignore et dédaigne l’histoire ; un profond mépris de l’antiquité et une immense attente des destinées futures de l’humanité le caractérisent ; la conscience de l’humanité n’est pour lui qu’un livre erroné : aussi l’a-t-il rarement ouvert, et toujours mal compris et mal lu.

Utilitaire, Bentham ignore les facultés idéales de l’homme et de l’humanité ; il rétrécit le bonheur qu’il cherche, parce qu’il mutile la nature ; il ne soupçonne pas que l’homme et l’humanité trouvent du bonheur dans l’idée de l’immortalité, dans l’idée du droit politique, dans la provocation que l’éloquence adresse aux passions, dans l’essor que la poésie imprime aux imaginations et aux âmes : les ambitions et les facultés de l’humanité dépassent l’espèce de bonheur dont s’est contenté Bentham.

Au point où le célèbre Anglais a laissé la science de la législation, cette science, pour parcourir de nouvelles phases, réclame aujourd’hui une histoire et un système. Il faut faire l’histoire avant le système, mais il ne faudra pas composer le système des lambeaux de l’histoire.

Écrire l’histoire des législations, c’est renouveler la conscience de l’humanité, reconstruire ses souvenirs et ses convictions, rendre plus vraies et plus vives les impressions que lui a laissées le passé, et faire du genre humain, par la connaissance de lui-même, un homme mûr pour toutes les grandeurs et tous les progrès.

Composer un système de législation, c’est donner à la puissance de l’humanité une forme qui concorde avec ses souvenirs du passé, avec le développement actuel de toutes ses facultés, avec toutes les virtualités progressives qui doivent éclater dans l’avenir ; c’est tirer de la science qui revêt toutes les formes, qui est philosophie, art, histoire, médecine, phrénologie, physique, théologie, morale, physiologie ; c’est, dis-je, tirer de la science la vie normale de l’humanité.

L’architecte qui bâtira l’histoire et le système, s’appelle le XIXe siècle ; il n’aura jamais assez d’ouvriers ; tous doivent venir, car tous sont appelés.

Les sociétés humaines sont placées aujourd’hui dans cette con-