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Je ne pensais plus à Leoni que comme à un souvenir terrible que j’éloignais de toutes mes forces. Retourner vers lui était une pensée qui me faisait frémir comme eût fait la vue d’un supplice. Je n’avais plus assez de vigueur pour l’aimer ou le haïr. Il ne m’écrivait pas, et je ne m’en apercevais pas, tant j’avais peu compté sur ses lettres. Un jour il en arriva une qui m’apprit de nouvelles calamités. On avait trouvé un testament de la princesse Zagarolo, dont la date était plus récente que celle du nôtre. Un de ses serviteurs, en qui elle avait confiance, en avait été le dépositaire depuis sa mort jusqu’à ce jour. Elle avait fait ce testament à l’époque où Leoni l’avait délaissée pour me soigner, et où elle avait eu des doutes sur notre fraternité. Depuis, elle avait songé à le déchirer en se réconciliant avec nous ; mais comme elle était sujette à mille caprices, elle avait gardé près d’elle les deux testamens, afin d’être toujours prête à en laisser subsister un. Leoni savait dans quel meuble était déposé le sien ; mais l’autre était connu seulement de Vincenzo, l’homme de confiance de la princesse, et il devait, à un signe d’elle, le brûler ou le conserver. Elle ne s’attendait pas, l’infortunée, à une mort si violente et si soudaine. Vincenzo, que Leoni avait comblé de ses générosités, et qui lui était tout dévoué à cette époque, n’ayant d’ailleurs pas pu savoir les dernières intentions de la princesse, conserva le testament, sans rien dire et nous laissa produire le nôtre. Il eût pu s’enrichir par ce moyen en nous menaçant ou en vendant son secret aux héritiers naturels. Mais ce n’était pas un malhonnête homme, ni un méchant cœur. Il nous laissa jouir de la succession sans exiger de meilleurs traitemens que ceux qu’il recevait. Mais quand j’eus quitté Leoni, il devint mécontent, car Leoni était brutal avec ses gens, et je les enchaînais seule à son service par mon indulgence. Un jour Leoni s’oublia jusqu’à frapper ce vieillard, qui aussitôt tira le testament de sa poche, et lui déclara qu’il allait le porter chez les cousins de la princesse. Aucune menace, aucune prière, aucune offre d’argent ne put apaiser son ressentiment. Le marquis arriva et résolut d’employer la force pour lui arracher le fatal papier ; mais Vincenzo, qui, malgré son âge, était un homme remarquablement vigoureux, le renversa, le frappa, menaça Leoni de le jeter par la fenêtre s’il s’attaquait à lui, et courut