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des sottises et te jeter à la tête de quelque femme indigne de toi. Je ne connais au monde que ta sœur qui te vaille ; c’est un ange, et il n’y a que toi aussi qui sois digne d’elle. — Je ne pouvais résister à ces cajoleries bienveillantes, et je me prenais pour cette femme d’une affection plus vive, à mesure que la mort la détachait de nous. Je ne voulais pas croire qu’elle pût nous être enlevée avec toute sa raison, tout son calme et au milieu d’une si douce intimité. Je me demandais comment nous ferions pour vivre sans elle, et je ne pouvais m’imaginer son grand fauteuil doré vide entre Leoni et moi, sans que mes yeux s’humectassent de larmes.

Un soir que je lui faisais la lecture pendant que Leoni était assis sur le tapis et lui réchauffait les pieds dans un manchon, elle reçut une lettre, la lut rapidement, jeta un grand cri et s’évanouit. Tandis que je volais à son secours, Leoni ramassa la lettre et en prit connaissance. Quoique l’écriture fût contrefaite, il reconnut la main du vicomte de Chalm. C’était une délation contre moi, des détails circonstanciés sur ma famille, sur mon enlèvement, sur mes relations avec Leoni, puis mille calomnies odieuses contre mes mœurs et mon caractère.

Au cri qu’avait jeté la princesse, Lorenzo, qui planait toujours comme un oiseau de malheur autour de nous, entra je ne sais comment, et Leoni, l’entraînant dans un coin, lui montra la lettre du vicomte. Lorsqu’ils se rapprochèrent de nous, le marquis était très calme et avait comme à l’ordinaire un sourire moqueur sur les lèvres ; et Leoni, agité, semblait interroger ses regards pour lui demander conseil.

La princesse était toujours évanouie dans mes bras. Le marquis haussa les épaules. — Ta femme est insupportablement niaise, dit-il assez haut pour que je l’entendisse ; sa présence ici désormais est du plus mauvais effet ; renvoie-la et dis-lui d’aller chercher du secours, je me charge de tout.

— Mais que feras-tu ? dit Leoni dans une grande anxiété.

— Sois tranquille, j’ai un expédient tout prêt depuis longtemps ; c’est un papier qui est toujours sur moi. Mais renvoie Juliette.

Leoni me pria d’appeler les femmes ; j’obéis et posai doucement la tête de la princesse sur un coussin. Mais quand je fus au