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reprit Henryet avec force ; est-ce que personne ne vous a raconté les aventures merveilleuses du chevalier Leone ? est-ce que vous n’avez jamais rougi d’avoir été sa complice et de vous être sauvée avec un escroc en pillant la boutique de votre père ?

Je laissai échapper un cri douloureux, et je cachai mon visage dans mes mains ; puis je relevai la tête en m’écriant de toutes mes forces : — Cela est faux, je n’ai jamais fait une telle bassesse ; Leoni n’en est pas plus capable que moi. Nous n’avions pas fait quarante lieues sur la route de Genève, que Leoni s’est arrêté au milieu de la nuit, a demandé un coffre et y a mis tous les bijoux pour les renvoyer à mon père.

— Êtes-vous sûre qu’il l’ait fait ? demanda Henryet en riant avec mépris.

— J’en suis sûre, m’écriai-je, j’ai vu le coffre, j’ai vu Leoni y serrer les diamans.

— Et vous êtes sûre que le coffre ne vous a pas suivie tout le reste du voyage ? vous êtes sûre qu’il n’a point été déballé à Venise ?

Ces mots furent enfin pour moi un trait de lumière si éblouissant, que je ne pus m’y soustraire. Je me rappelai tout à coup ce que j’avais cherché en vain à ressaisir dans mes souvenirs : la première circonstance où mes yeux avaient fait connaissance avec ce fatal coffret. En ce moment, les trois époques de son apparition me furent présentes et se lièrent logiquement entre elles, pour me forcer à une conclusion écrasante : premièrement la nuit passée dans le château mystérieux, où j’avais vu Leoni mettre les diamans dans ce coffre ; en second lieu, la dernière nuit passée au chalet suisse, où j’avais vu Leoni déterrer mystérieusement son trésor confié à la terre ; troisièmement la seconde journée de notre séjour à Venise, où j’avais trouvé le coffre vide et l’épingle de diamans par terre dans un reste de coton d’emballage. La visite du juif Thadée et les cent cinquante mille francs que, d’après l’entretien surpris par moi entre Leoni et ses compagnons, il lui avait comptés à notre arrivée à Venise, coïncidaient parfaitement avec le souvenir de cette matinée. Je me tordis les mains, et les levant vers le ciel : — Ainsi, m’écriai-je en me parlant à moi-même, tout est perdu jusqu’à l’estime de ma mère, tout est empoisonné jus-