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REVUE. – CHRONIQUE.

appelle sur sa tête et sur tout ce qui l’entoure un malheur qu’il crée par sa seule fantaisie. Il a l’infini dans le cœur, dit le romancier, il est organisé vivement pour aimer ; soit, mais il gouverne bien mal cette puissance intérieure ; il a tout l’égoïsme aveugle de la passion, et jamais le sacrifice éclairé. Amoureux de miss Hannah, il la compromet d’abord par la fougue de ses manières ; quand elle a épousé lord Arthur, il la compromet par sa brusque invasion chez elle à l’heure de la nuit. Mais tout cela est de la fumée de première jeunesse, et je le lui pardonnerais. Une fois le divorce obtenu, une fois Hannah devenue sa femme, que ne sait-il être heureux ? Il devient alors jaloux du passé ; il se dévore en idée de ce qu’il n’a pas eu ; il est poursuivi par un souvenir comme si c’était une crainte. Toute cette subtilité de tourment est bien décrite, mais sir James n’y gagne pas en intérêt ; il lui manque une part de sacrifice et de désintéressement moral dans l’amour. L’auteur déclare en sa préface « que l’amour désintéressé est une vieille illusion qu’on ne saurait assez battre en brèche, et qu’une grande passion doit se composer, à la fois, de tous les sacrifices de ce qui est en son pouvoir et de toutes les exigences de ce qui est dans ses droits. » Il y a plus de pompe que de justesse dans cette maxime. Le désintéressement et le sacrifice dans l’amour sont éternels comme le véritable amour ; comme lui, ils sont toujours rares. C’est parce que sir James est entièrement étranger à cette pensée, qu’il se conduit ainsi au gré de sa nature fougueuse, et que, tout vrai qu’il est, il ne charme pas. J’aurais voulu que l’auteur fît ressortir ce manque moral du héros. On demanderait aussi çà et là des scènes plus développées et reposées. Mais le livre est plein d’ailleurs d’observations assez profondes ou fines sur le cœur humain dans l’amour. Ainsi la première fois qu’Hannah congédie James, James anéanti sort ; mais, en avançant vers la porte, il voit dans une glace le visage d’Hannah en pleurs. « À quoi tiennent les choses ! Si dans ce moment James n’eût pas rencontré sur son passage cette glace qui lui montra le visage d’Hannah baigné de larmes, il ne fût pas revenu sur ses pas… Il fût sorti, et jamais peut-être n’eût cherché à revoir Hannah !… Mais une passion comme la sienne l’eût tué, dira-t-on, si elle n’avait été nullement partagée. — C’est précisément parce qu’elle ne se serait crue nullement partagée qu’elle aurait guéri. Le découragement est un sûr contre-poison contre toute grande passion, qui s’éteint faute d’espérance comme une lampe faute d’aliment. D’ailleurs, l’amour-propre blessé travaille perpétuellement à nous affranchir de liens qui humilient ; c’est une lime qui agit sans cesse et qui nous délivre peu à peu de toutes les captivités morales. Ce qui est le plus fatal peut-être à toute âme vivement organisée pour aimer, c’est de rencontrer une affection