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du vœu que sa nourrice avait fait pour lui, et le prêtre qui l’exhorte lui parle de ses ancêtres, et de Palestine et de pélerinage. Aux fêtes saintes, aux stations, il est à la cathédrale avec les autres enfans de son âge. Le jour baisse, les petites bougies sont allumées tout contre les heures où chacun suit l’office ; on chante le Tantum ergò : « Je voyais, dit-il, les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux à l’Éternel ; je courbais mon front ; il n’était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement, qu’on est tenté de ne plus relever la tête, lorsqu’on l’a inclinée aux pieds des autels. »

Nous avons entendu dire quelquefois à certaines gens, de bonne volonté d’ailleurs, à propos de cette tristesse de plusieurs grands poètes, et de M. de Chateaubriand en particulier : Qu’a-t-il ? Pourquoi tant de tristesse et d’ennuis ? Tout, dans la gloire du moins et dans le concert des louanges, ne lui sourit-il pas ? Et lui-même, si par hasard nous le rencontrons sous les ormes de son boulevard, n’a-t-il pas fleur à la main et jeunesse légère, et si nous le saluons, toute la grâce du sourire ? Allez ; ces grands soucis de poète ne sont que feinte. — Bonnes gens, qui ne concevez pas qu’on puisse agréablement vous sourire, et n’en pas moins sentir le néant et l’interminable ennui de toute chose ! C’est la duchesse-mère d’Orléans qui a dit, je crois, de son fils le régent, qu’il était né ennuyé. Ce mal originel d’ennui puisé au ventre de la mère, qui tourne chez les uns en vice et en folies déréglées, tourne chez les autres en poésie et en génie ; mais la douleur se cache sous la beauté. Enfant, (et je me sers à dessein d’expressions ravies), tout devient passion en attendant la passion même ; tout s’épuise, tout se dévore, avant d’être cueilli et touché. On est, comme le frère d’Amélie, égaré et possédé du démon de son cœur. Viennent les délices tant désirées ; elles n’ont qu’un jour, une heure à peine. Il y a des natures fatales qui portent plus aisément que d’autres, autour d’elles, le vertige et le désenchantement : Jupiter qui s’approche consume Semelé. Puis voilà qu’on en est à la fuite des ans ; la jeunesse alors (et c’est toujours avec les expressions dérobées au poète, avec la plume échappée au cygne, que j’écris de lui), la jeunesse rentre au cœur, et quittant l’écorce, les dehors déjà moins fleuris, elle s’enferme en un sein orageux qu’elle continue de troubler. On est tenté de