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tôt qu’à l’y rattacher. C’est aux Mémoires qu’il appartenait de tout reprendre dans une unité plus vaste, et de représenter avec accord l’entière ordonnance de cette destinée.

L’idée de M. de Chateaubriand, écrivant ses Mémoires, a été de se peindre sans descendre jusqu’à la confession, mais en se dépouillant d’une sorte de convenu inévitable qu’imposent les grands rôles joués sur la scène du monde : c’est une des raisons qui le portent à n’en vouloir la publication qu’après lui. Dans les pages datées de 1811, comme dans celles de 1833, l’auteur de la grande tentative chrétienne et monarchique se sent toujours, mais il ne se pose pas en travers. Rien n’y jure avec les opinions du passé, mais rien ne s’y asservit. Le poète, comme René, a repris solitude et puissance ; il est rentré dans sa libre personnalité. Il y a telle page de 1833 qui ressemble plus à telle page de l’Essai que tout ce qui a été écrit dans l’intervalle : les rayons du couchant rejoignent l’aurore.

Ce serait, on le sent, aborder les Mémoires de M. de Chateaubriand par un bien étroit côté, que d’y chercher simplement un récit explicatif qui comblerait les lacunes biographiques et aiderait à compléter une psychologie individuelle. De ses Mémoires, M. de Chateaubriand a fait et a dû faire un poème. Quiconque est poète à ce degré, reste poète jusqu’à la fin ; et quoiqu’il écrive en face de la réalité, il la transgresse toujours ; il ne lui est pas donné de redescendre. Mais, chemin faisant, au milieu des peintures et des caractères, des récits enjoués ou des idéales rêveries, les indications abondent : on y sent passer les secrets voilés ; on saisit surtout cette continuité morale du héros, qui s’étend du berceau jusqu’à la gloire, qui persiste de dessous la gloire jusqu’à la tombe. Et c’est là, je le dirai, ce qui m’a le plus profondément attaché au milieu de la beauté et de la grandeur vraiment épiques de l’ensemble.

Noble vie, magnanime destinée, à coup sûr, que celle qui se trouve tout naturellement et comme forcément amenée à produire l’épopée de son siècle, en se racontant elle-même, tant elle a été mêlée à tout, à la nature, aux catastrophes, aux hommes, tant son rôle extérieur a été grand, bien qu’elle ait gardé plus d’un mystère ! Oh ! quand je m’échappe quelquefois à parler du factice