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de lui. Dans son application à la politique, et dans l’Itinéraire de son voyage en Orient, il a si bien su proportionner son style à la nature des sujets, que c’est aujourd’hui l’opinion universelle qu’il y a chez lui une seconde manière, une seconde portion de son œuvre qui est irréprochable. Mais comme ce mérite d’être irréprochable tient surtout en ce cas-là à un moindre déploiement poétique, je persiste à le préférer dans sa complète, et, si l’on veut, inégale manière.

Politiquement, le rôle de M. de Chateaubriand n’est pas moins, à peu près unanimement, apprécié aujourd’hui. Sauf quelques mots, quelques écarts dus à la tourmente des temps et aux engagemens de parti, on le voit constamment viser à une conciliation entre la liberté moderne et la légitimité royale. La liberté de la parole et de la presse est, en quelque sorte, l’axe fixe autour duquel sa noble course politique a erré. Et puis, d’époque en époque, on rencontre dans la vie publique de M. de Chateaubriand de ces actes d’honneur désintéressé et de généreuse indignation qui font du bien au cœur parmi tant d’égoïsmes prudens et d’habiles indifférences. Cette faculté électrique qui, lors de l’assassinat du duc d’Enghien, le porta instantanément à briser avec le gouvernement coupable, ne l’a pas abandonné encore ; elle est chez lui restée irrésistible et entière comme son génie. Elle ne l’a pas trompé surtout dans sa relation de guerre et de mépris contre un gouvernement venu le dernier et déjà le plus avilissant. Nous n’entendons pas ici précisément parler des deux brochures politiques de M. de Chateaubriand ; nous en serions fort mauvais juge, incapable que nous nous trouvons, par suite d’habitudes anciennes et de convictions démocratiques, d’entrer dans la fiction des races consacrées et des dynasties de droit. Nous serions même fort tenté de croire que l’illustre écrivain n’a lancé ces manifestes que par engagement de position, par sentiment de point d’honneur, et comme on irait galamment sur le pré pour une cause à laquelle on se dévoue plutôt qu’on y croit. Mais ce que nous aimons sans réserve dans l’attitude actuelle de M. de Chateaubriand, ce qui nous le montre bien d’accord avec lui-même, avec son tempérament de loyauté et de liberté, c’est son irrémédiable dégoût de tout régime peureux, ignoble, qui suit sa cupidité sous l’astuce, et qui parfois devient même cy-