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LA VEILLÉE DE VINCENNES.

Rien de si calme que leurs poses, rien de si décent que leur maintien, rien de si heureux que leurs visages. Le rayon qui tombait d’en haut sur ces trois fronts n’y éclairait pas une expression soucieuse, et le doigt de Dieu n’y avait écrit que bonté, amour et pudeur.

Le froissement de nos épées sur le mur les avertit que nous étions là. Le brave homme nous vit, et son front chauve en rougit de surprise, et je pense aussi, de satisfaction. Il se leva avec empressement, et prenant un des trois chandeliers qui l’éclairaient, vint nous ouvrir et nous fit asseoir. Nous le priâmes de continuer son concert de famille, et avec une simplicité noble, sans s’excuser et sans demander indulgence, il dit à ses enfans :

— Où en étions-nous ?

Et les trois voix s’élevèrent en chœur avec une indicible harmonie.

Timoléon écoutait et restait sans mouvement ; pour moi, cachant ma tête et mes yeux, je me mis à rêver avec un attendrissement qui, je ne sais pourquoi, était douloureux. Ce qu’ils chantaient emportait mon ame dans des régions de larmes et de mélancoliques félicités, et, poursuivi peut-être par l’importune idée de mes travaux du soir, je changeais en mobiles images les mobiles modulations des voix. Ce qu’ils chantaient était un de ces chœurs écossais, une de ces anciennes mélodies des Bardes, que chante encore l’écho sonore des Orcades. Pour moi, ce chœur mélancolique s’élevait lentement et s’évaporait tout à coup comme les brouillards des montagnes d’Ossian, ces brouillards qui se forment sur l’écume mousseuse des torrens de l’Arven, s’épaisissent lentement et semblent se gonfler et se grossir, en montant, d’une foule innombrable de fantômes tourmentés et tordus par les vents. Ce sont des guerriers qui rêvent toujours, le casque appuyé sur la main, et dont les larmes et le sang tombent goutte à goutte dans les eaux noires des rochers ; ce sont des beautés pâles dont les cheveux s’alongent en arrière comme les rayons d’une lointaine comète et se fondent dans le sein humide de la lune ; elles passent vite, et leurs pieds s’évanouissent enveloppés dans les plis vaporeux de leurs robes blanches ; elles n’ont pas d’ailes et volent. Elles volent en tenant des harpes, elles volent les yeux baissés et la bouche en-