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LEONE LEONI.

ne prenait plus les mêmes soins pour me les faire aimer. Il s’occupait moins de la contrariété que j’éprouvais, et lorsque je la lui exprimais, il la combattait avec moins de douceur. Un jour même il fut brusque et amer ; je vis que je lui causais de l’humeur, je résolus de ne plus me plaindre désormais ; mais je commençai à souffrir réellement et à me trouver malheureuse. J’attendais avec résignation que Leoni prît le temps de revenir à moi, et il est vrai que dans ces momens-là il était si bon et si tendre, que je me trouvais folle et lâche d’avoir tant souffert. Mon courage et ma confiance se ranimaient pour quelques jours, mais ces jours de consolation étaient de plus en plus rares. Leoni, me voyant douce et soumise, me traitait toujours avec affection, mais il ne s’apercevait plus de ma mélancolie ; l’ennui me rongeait, Venise me devenait odieuse : ses eaux, son ciel, ses gondoles, tout m’y déplaisait. Pendant les nuits de jeu j’errais seule sur la terrasse, au haut de la maison ; je versais des larmes amères ; je me rappelais ma patrie, ma jeunesse insouciante, ma mère si folle et si bonne, mon pauvre père si tendre et si débonnaire, et jusqu’à ma tante avec ses petits soins et ses longs sermons. Il me semblait que j’avais le mal du pays, que j’avais envie de fuir, d’aller me jeter aux pieds de mes parens, d’oublier à jamais Leoni. Mais si une fenêtre s’ouvrait au-dessous de moi, si Leoni, las du jeu et de la chaleur, s’avançait sur le balcon pour respirer la fraîcheur du canal, je me penchais sur la rampe pour le voir, et mon cœur battait comme aux premiers jours de ma passion, quand il franchissait le seuil de la maison paternelle ; si la lune donnait sur lui et me permettait de distinguer sa noble taille sous le riche costume de fantaisie qu’il portait toujours dans l’intérieur de son palais, je palpitais d’orgueil et de plaisir, comme le jour où il m’avait introduite dans ce bal dont nous sortîmes pour ne jamais revenir ; si sa voix délicieuse, essayant une phrase de chant, vibrait sur les marbres sonores de Venise et montait vers moi, je sentais mon visage inondé de larmes, comme le soir sur la montagne quand il me chantait une romance composée pour moi le matin. Quelques mots que j’entendis sortir de la bouche d’un de ses compagnons augmentèrent ma tristesse et mon dégoût à un degré insupportable. Parmi les douze amis de Leoni, le vicomte de Chalm,