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LEONE LEONI.

autres bijoux. Quant à moi, je te l’ai à peine demandé, j’avais perdu la tête.

En achevant ces mots, je lui présentai l’épingle. Je parlais si naturellement, et j’avais si peu l’idée de le soupçonner, qu’il le vit bien ; et prenant l’épingle avec le plus grand calme :

— Parbleu ! dit-il, je ne sais comment cela se fait. Où as-tu trouvé cela ? Es-tu sûre que cela vienne de ton père, et n’ait pas été oublié dans cette maison par ceux qui l’ont occupée avant nous ?

— Oh ! lui dis-je, voici auprès du contrôle un cachet imperceptible ; c’est la marque de mon père. Avec une loupe, tu y verrais son chiffre.

— À la bonne heure, dit-il, cette épingle sera restée dans un de nos coffres de voyage, et je l’aurai fait tomber ce matin en secouant quelque harde. Heureusement c’est le seul bijou que nous ayons emporté par mégarde ; tous les autres ont été remis à une personne sûre et adressés à Delpech, qui les aura exactement reportés à ta famille. Je ne pense pas que celui-ci vaille la peine d’être rendu ; ce serait imposer à ta mère une triste émotion de plus pour bien peu d’argent.

— Cela vaut encore au moins dix mille francs, répondis-je.

— Eh bien ! garde-le jusqu’à ce que je trouve une occasion pour le renvoyer. Ah çà ! es-tu prête ? les malles sont-elles refermées ? Il y a une gondole à la porte, et ta maison t’attend avec impatience ; on sert déjà le souper.

Une demi-heure après, nous nous arrêtâmes à la porte d’un palais magnifique. Les escaliers étaient couverts de tapis de drap amaranthe ; les rampes, de marbre blanc, étaient chargées d’orangers en fleurs, en plein hiver, et de légères statues, qui semblaient se pencher sur nous pour nous saluer. Le concierge et quatre domestiques en livrée vinrent nous aider à débarquer. Leoni prit le flambeau de l’un d’eux, et l’élevant, il me fit lire sur la corniche du pérystile cette inscription en lettres d’argent sur un fond d’azur : Palazzo Leoni. — Ô mon ami, m’écriai-je, tu ne nous avais donc pas trompés ? Tu es riche et noble, et je suis chez toi !

Je parcourus ce palais avec une joie d’enfant. C’était un des plus beaux de Venise. L’ameublement et les tentures, éclatans de fraîcheur, avaient été copiés sur les anciens modèles, de sorte que les