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LEONE LEONI.

— Et par où commencerons-nous ? lui demandai-je en m’efforçant de sourire aussi.

— Je n’en sais rien encore, dit-il, mais qu’importe ? nous serons ensemble, où pouvons-nous être malheureux ?

— Hélas ! lui dis-je, serons-nous jamais aussi heureux qu’ici ?

— Veux-tu y rester ? demanda-t-il.

— Non, lui répondis-je, nous ne le serions plus ; en présence du danger nous serions toujours inquiets l’un pour l’autre.

Nous fîmes les apprêts de notre départ ; Joanne passa la journée à déblayer le sentier par lequel nous devions partir. Pendant la nuit, il m’arriva une aventure singulière et à laquelle bien des fois depuis je craignis de réfléchir.

Au milieu de mon sommeil, je fus saisie par le froid et je m’éveillai. Je cherchai Leoni à mes côtés, il n’y était plus ; sa place était froide, et la porte de la chambre, à demi entr’ouverte, laissait pénétrer un vent glacé. J’attendis quelques instans, mais Leoni ne revenant pas, je m’étonnai, je me levai, et je m’habillai à la hâte. J’attendis encore avant de me décider à sortir, craignant de me laisser dominer par une inquiétude puérile. Son absence se prolongea ; une terreur invincible s’empara de moi, et je sortis à peine vêtue, par un froid de quinze degrés. Je craignais que Leoni n’eût encore été au secours de quelque malheureux perdu dans les neiges, comme cela était arrivé peu de nuits auparavant, et j’étais résolue à le chercher et à le suivre. J’appelai Joanne et sa femme ; ils dormaient d’un si profond sommeil, qu’ils ne m’entendirent pas. Alors, dévorée d’inquiétude, je m’avançai jusqu’au bord de la petite plateforme palissadée qui entourait le chalet, et je vis une faible lueur argenter la neige à quelque distance. Je crus reconnaître la lanterne que Leoni portait dans ses excursions généreuses. Je courus de ce côté, aussi vite que me le permit la neige, où j’entrais jusqu’aux genoux. J’essayai de l’appeler, mais le froid me faisait claquer les dents, et le vent qui me venait à la figure interceptait ma voix. J’approchai enfin de la lumière, et je pus voir distinctement Leoni ; il était immobile à la place où je l’avais aperçu d’abord, et il tenait une bêche. J’approchai encore ; la neige amortissait le bruit de mes pas, j’arrivai tout près de lui sans qu’il s’en aperçût.