Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LEONE LEONI.

— Nous avons peu d’instans à perdre, répondit Leoni. Il faut que dans une heure nous soyons partis, ou ta fuite deviendra impossible. Il y a un œil de vautour qui plane sur nous. Mais, si tu le veux, nous saurons le tromper. Le veux-tu ? le veux-tu ?

Il me serra dans ses bras avec délire. Des cris de douleur s’échappaient de sa poitrine. Je répondis, oui, sans savoir ce que je disais. — Eh bien ! retourne vite au bal, me dit-il, ne montre pas d’agitation. Si on te questionne, dis que tu as été un peu indisposée, mais ne te laisse pas emmener. Danse s’il le faut. Surtout si Henryet te parle, sois prudente, ne l’irrite pas, songe que pendant une heure encore mon sort est dans ses mains. Dans une heure je reviendrai sous un domino. J’aurai ce bout de ruban au capuchon. Tu le reconnaîtras, n’est-ce pas ? Tu me suivras, et surtout tu seras calme, impassible, fourbe. Il le faut, songe à tout cela, t’en sens-tu la force ?

Je me levai et je pressai ma poitrine brisée dans mes deux mains. J’avais la gorge en feu, mes joues étaient brûlées par la fièvre, j’étais comme ivre. — Allons, allons, me dit-il. — Il me poussa dans le bal et disparut. Ma mère me cherchait. Je vis de loin son anxiété, et pour éviter ses questions, j’acceptai précipitamment une invitation à danser.

Je dansai, et je ne sais comment je ne tombai pas morte à la fin de la contredanse, tant j’avais fait d’efforts sur moi-même. Quand je revins à ma place, ma mère était déjà partie pour la walse. Elle m’avait vue danser, elle était tranquille, elle recommençait à s’amuser pour son compte. Ma tante, au lieu de me questionner sur mon absence, me gronda. J’aimais mieux cela, je n’avais pas besoin de répondre et de mentir. Une de mes amies me demanda d’un air effrayé ce que j’avais et pourquoi ma figure était si bouleversée. Je répondis que je venais d’avoir un violent accès de toux.

— Il faut te reposer, me dit-elle, et ne plus danser.

— Mais j’étais décidée à éviter le regard de ma mère, je craignais son inquiétude, sa tendresse et mes remords. Je vis son mouchoir qu’elle avait laissé sur la banquette, je le pris, je l’approchai de mon visage, et m’en couvrant la bouche, je le dévorai de baisers convulsifs. Ma compagne crut que je toussais encore ; je feignis de tousser en effet. Je ne savais comment remplir cette heure fatale