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LEONE LEONI.

mon père à sa boutique. — C’est une tyrannie odieuse, lui dit-elle, en l’entraînant près de nous. Voyez ces deux malheureux enfans ! comment pouvez-vous refuser de faire leur bonheur, quand vous êtes témoin de ce qu’ils souffrent ? Voulez-vous tuer votre fille par respect pour une vaine formalité ? Ces papiers n’arriveront-ils pas aussi bien et ne seront-ils pas aussi satisfaisans après huit jours de mariage ? Que craignez-vous ? Prenez-vous notre cher Leoni pour un imposteur ? Ne comprenez-vous pas que votre insistance pour avoir les preuves de sa fortune est injurieuse pour lui et cruelle pour Juliette ? —

Mon père, tout étourdi de ces reproches, et surtout de mes pleurs, jura qu’il n’avait jamais songé à tant d’exigence, et qu’il ferait tout ce que je voudrais. Il m’embrassa mille fois et me tint le langage qu’on tient à un enfant de six ans lorsqu’on cède à ses fantaisies pour se débarrasser de ses cris. Ma tante arriva et parla moins tendrement. Elle me fit même des reproches qui me blessèrent. — Une jeune personne chaste et bien élevée, disait-elle, ne devait pas montrer tant d’impatience d’appartenir à un homme.

— On voit bien, lui dit ma mère, tout-à-fait piquée, que vous n’avez jamais pu appartenir à aucun. — Mon père ne pouvait souffrir qu’on manquât d’égards envers sa sœur. Il pencha de son côté, et fit observer que notre désespoir était un enfantillage, que huit jours seraient bientôt passés. J’étais mortellement offensée de l’impatience qu’on me supposait, et j’essayais de retenir mes larmes ; mais celles de Leoni exerçaient sur moi une puissance magnétique, et je ne pouvais m’arrêter. Alors il se leva, les yeux tout humides, les joues animées, et avec un sourire d’espérance et de tendresse il courut vers ma tante. Il prit ses mains dans une des siennes, celles de mon père dans l’autre, et se jeta à genoux en les suppliant de ne plus s’opposer à son bonheur. Ses manières, son accent, son visage, avaient un pouvoir irrésistible ; c’était d’ailleurs la première fois que ma pauvre tante voyait un homme à ses pieds. Toutes les résistances furent vaincues. Les bans étaient publiés, toutes les formalités préparatoires étaient remplies, notre mariage fut fixé à la semaine suivante, sans aucun égard à l’arrivée des papiers.

Le mardi gras tombait le lendemain. M. Delpech donnait une