Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 2.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
REVUE DES DEUX MONDES.

laquelle s’élèvent des arbres magnifiques, présente au midi l’une de ses faces coupée à pic et dominant à la hauteur de deux cents pieds à peu près la vallée de Gotteron. Dupré attaqua cette masse, non pas pour s’y creuser une simple grotte, mais pour s’y tailler une habitation complète avec toutes ses dépendances, s’imposant en outre pour pénitence de ne manger que du pain et de ne boire que de l’eau tout le temps que durerait ce travail. Son œuvre n’était point encore achevée au bout de vingt ans, lorsqu’elle fut interrompue par la mort tragique du pauvre anachorète. Voici comment :

La singularité du vœu, la persistance avec laquelle Dupré l’accomplissait, la hardiesse de cette fouille à l’intérieur de la montagne, attiraient à la Madeleine nombre de visiteurs, et comme des deux chemins qui y conduisaient, celui de la vallée de Gotteron était le plus court et le plus pittoresque, c’était celui que préféraient les curieux. Il y avait bien un petit inconvénient. Arrivé au pied de l’ermitage, il fallait traverser la Sarine ; mais Dupré lui-même se chargea de lever cette difficulté en faisant faire une barque, et en quittant la pioche pour la rame chaque fois qu’une nouvelle société désirait visiter son ermitage. Un jour, une bande de jeunes étudians vint à son tour réclamer l’office du pieux batelier ; et comme ils étaient avec lui au milieu de la rivière, l’un d’eux, riant de la terreur d’un de ses camarades, posa, malgré les remontrances de l’ermite, ses pieds sur les deux bords de la barque, et lui imprima, en se laissant peser tantôt à bâbord, tantôt à tribord, un mouvement si brusque, qu’il la fit chavirer : les étudians, qui étaient jeunes et vigoureux, gagnèrent la rive malgré le courant rapide de la rivière ; le vieillard se noya, et l’ermitage resta inachevé.

Nous parvînmes à cette grotte en descendant quatre ou cinq marches, par une espèce de poterne qui traverse un roc de huit pieds d’épaisseur. Cette poterne nous conduisit sur une terrasse taillée dans la pierre même qui surplombe au-dessus d’elle, à peu près comme le font certaines maisons gothiques, dont les différens étages avancent successivement sur la rue. Une porte s’offrait à notre droite, nous entrâmes. Nous nous trouvâmes dans la chapelle de l’ermitage, longue de quarante pieds, large de trente, haute de vingt. Deux fois par an, un prêtre de Fribourg vient