Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
REVUE DES DEUX MONDES.

ont amplement moissonné, M. Laplace a agi en homme d’esprit ; il a fait autrement qu’eux, sans rien ôter de leur mérite à ses travaux ; les termes de marine, les détails de manœuvres, de vents, de routes, etc., toutes choses qui font le désespoir des lecteurs étrangers au métier, ont disparu du récit pour aller se réunir à la fin de l’ouvrage, où celui qui aura besoin de les consulter les trouvera dans toute leur nudité scientifique. Il ne reste plus pour l’homme du monde que les observations de mœurs, les faits historiques, les descriptions de lieux célèbres, seuls détails qui soient de sa compétence. Ce secret est bien simple, et c’est faute d’en avoir fait usage que bien des voyageurs, d’un grand mérite d’ailleurs, ont trouvé le public un peu froid.

Nous ne suivrons point la Favorite dans sa traversée de Toulon, d’où elle partait le 29 décembre 1829, jusqu’à son arrivée à Maurice et Bourbon dans les premiers jours d’avril de l’année suivante. Deux de ces ouragans qui, dans ces parages, bouleversent les élémens aux changemens de moussons, l’accueillaient à son arrivée et lui faisaient subir les premières épreuves de sa longue campagne. Maurice et Bourbon, dont la plupart des voyageurs dédaignent de parler, et qui sont peut-être moins connus de la généralité des lecteurs que la nouvelle Hollande, ont fourni à M. Laplace quelques pages brillantes où leur état actuel et les causes qui l’ont amené sont peints avec une rare vérité. Ces deux îles presque également célèbres, sœurs jumelles élevées par la France, mais inégalement partagées par la nature qui a donné à l’une un port et de nombreux abris pour les navires qui viennent la visiter, à l’autre une ceinture de corail et des flancs escarpés qui semblent repousser les navigateurs, sont arrivées aujourd’hui au même point par des causes à peu près pareilles. Maurice, privée, pendant les guerres de l’empire, de communications avec l’Europe, vit ses ports se rouvrir dans les premières années de la paix ; ses produits, montés subitement à des prix élevés, amenèrent la fortune parmi ses habitans ; à la suite de celle-ci vint le luxe dont les Anglais, ses nouveaux maîtres, lui donnaient le fatal exemple, et qui fit disparaître, sous des dehors brillans, l’heureuse aisance dont elle jouissait autrefois, Les somptueux équipages remplacèrent les palanquins jusqu’alors en usage ; de magnifiques demeures,