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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

mais qui finissent par obéir, tout en sachant attendrir leur maître. Lorsqu’à la dernière scène, dans une de ces allées droites où l’on se voit de si loin, madame d’Estouteville s’avance lentement, soutenue du bras d’Eugène, je sens tout se résumer pour moi dans cette image. Si jamais l’auteur a marié quelque part l’observation du moraliste avec l’animation du peintre, s’il a élevé le roman jusqu’au poème, c’est dans Eugène de Rothelin qu’il l’a fait. Qu’importe qu’en peignant son aimable héros, l’auteur ait cru peut-être proposer un exemple à suivre aux générations présentes, qui n’en sont plus là ; il a su tirer d’un passé récent un type non encore réalisé ou prévu, un type qui en achève et en décore le souvenir.

Après Eugène de Rothelin, nous avons à parler encore de deux romans de Mme de Souza, plus développés que ses deux précédens chefs-d’œuvre, et qui sont eux-mêmes d’excellens ouvrages, Eugénie et Mathilde et la Comtesse de Fargy. Le couvent joue un très grand rôle en ces deux compositions, ainsi qu’on l’a vu déjà dans Adèle de Sénange. Il y a en effet dans la vie et dans la pensée de Mme de Souza quelque chose de plus important que d’avoir lu Jean-Jacques ou Labruyère, que d’avoir vu la révolution française, que d’avoir émigré et souffert, et assisté aux pompes de l’Empire, c’est d’avoir été élevée au couvent. J’oserais conjecturer que cette circonstance est demeurée la plus grande affaire de sa vie, et le fond le plus inaltérable de ses rêves. La morale, la religion de ses livres, sont exactes et pures ; toutefois ce n’est guère par le côté des ardeurs et des mysticités qu’elle envisage le cloître ; elle y voit peu l’expiation contrite des Héloïse et des Lavallière. L’auteur de Lélia, qui a été également élevée dans un couvent et qui en a reçu une impression très profonde, a rendu avec un tout autre accent sa tranquillité fervente dans ces demeures. Mais j’ai dit que l’auteur de la Comtesse de Fargy, d’Eugénie et Mathilde, appartient réellement par le goût au xviiie siècle. Le couvent, pour elle, c’est quelque chose de gai, d’aimable, de gémissant comme Saint-Cyr ; c’est une volière de colombes amies ; ce sont d’ordinaire les curiosités et les babils d’une volage innocence. « La partie du jardin, qu’on nommait pompeusement le bois, n’était qu’un bouquet d’arbres placés devant une très petite maison tout-à-fait séparée du couvent, quoique renfermée dans ses murs. Mais c’est une ha-