Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/708

Cette page a été validée par deux contributeurs.
696
REVUE DES DEUX MONDES.

comme il s’en trouvait vers 1780 à Paris, qui la rencontre dans un léger embarras et lui apparaît d’abord comme un sauveur, un très vieux mari, bon, sensible, paternel, jamais ridicule, qui n’épouse la jeune fille que pour l’affranchir d’une mère égoïste et lui assurer fortune et avenir ; tous les événemens les plus simples de chaque jour entre ces trois êtres qui, par un concours naturel de circonstances, ne vont plus se séparer jusqu’à la mort du vieillard ; des scènes de parc, de jardin, des promenades sur l’eau, des causeries autour d’un fauteuil ; des retours au couvent et des visites aux anciennes compagnes ; un babil innocent, varié, railleur ou tendre, traversé d’éclairs passionnés ; la bienfaisance se mêlant, comme pour le bénir, aux progrès de l’amour ; puis, de peur de trop d’uniformes douceurs, le monde au fond, saisi de profil, les ridicules ou les noirceurs indiqués, plus d’un original ou d’un sot marqué d’un trait divertissant au passage ; la vie réelle en un mot, embrassée dans un cercle de choix ; une passion croissante qui se dérobe, comme ces eaux de Neuilly, sous des rideaux de verdure et se replie en délicieuses lenteurs ; des orages passagers, sans ravages, semblables à des pluies d’avril ; la plus difficile des situations honnêtes menée à fin jusque dans ses moindres alternatives, avec une aisance qui ne penche jamais vers l’abandon, avec une noblesse de ton qui ne force jamais la nature, avec une mesure indulgente pour tout ce qui n’est pas indélicat ; tels sont les mérites principaux d’un livre où pas un mot ne rompt l’harmonie. Ce qui y circule, et l’anime, c’est le génie d’Adèle, génie aimable, gai, mobile, ailé comme l’oiseau, capricieux et naturel, timide et sensible, vermeil de pudeur, fidèle, passant du rire aux larmes, plein de chaleur et d’enfance.

On était à la veille de la révolution, quand ce charmant volume fut composé ; en 93, à Londres, au milieu des calamités et des gênes, l’auteur le publia. Cette Adèle de Sénange parut dans ses habits de fête, comme une vierge de Verdun échappée au massacre, et ignorant le sort de ses compagnes.

Mme de Souza, alors Mme de Flahaut, avant d’épouser fort jeune le comte de Flahaut, âgé déjà de cinquante-sept ans, avait été élevée au couvent à Paris. C’est ce couvent même qu’elle a peint sans doute dans Adèle de Sénange. Il y avait un hôpital annexé