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DESTINÉES DE LA POÉSIE.

nivellera les inégalités des intelligences, et ne laissera bientôt plus d’autre puissance sur la terre que celle de la raison universelle qui aura multiplié sa force par la force de tous. Sublime et incalculable association de toutes les pensées dont les résultats ne peuvent être appréciés que par celui qui a permis à l’homme de la concevoir et de la réaliser ! La poésie de nos jours a déjà tenté cette forme, et des talens d’un ordre élevé se sont abaissés pour tendre la main au peuple : la poésie s’est faite chanson, pour courir sous l’aile du refrain dans les camps ou dans les chaumières ; elle y a porté quelques nobles souvenirs, quelques généreuses inspirations, quelques sentimens de morale sociale ; mais cependant, il faut le déplorer, elle n’a guère popularisé que des passions, des haines ou des envies. C’est à populariser des vérités, de l’amour, de la raison, des sentimens exaltés de religion et d’enthousiasme, que ces génies populaires doivent consacrer leur puissance à l’avenir. Cette poésie est à créer ; l’époque la demande, le peuple en a soif, il est plus poète par l’ame que nous, car il est plus près de la nature ; mais il a besoin d’un interprète entre cette nature et lui : c’est à nous de lui en servir, et de lui expliquer par ses sentimens rendus dans sa langue, ce que Dieu a mis de bonté, de noblesse, de générosité, de patriotisme et de piété enthousiaste dans son cœur ! Toutes les époques primitives de l’humanité ont eu leur poésie ou leur spiritualisme chanté ; la civilisation avancée serait-elle la seule époque qui fît taire cette voix intime et consolante de l’humanité ? Non, sans doute, rien ne meurt dans l’ordre éternel des choses, tout se transforme : la poésie est l’ange gardien de l’humanité à tous ses âges.

Il y a un morceau de poésie nationale dans la Calabre, que j’ai entendu chanter souvent aux femmes d’Amalfi en revenant de la fontaine. Je l’ai traduit autrefois en vers, et ces vers me semblent s’appliquer si bien au sujet que je traite, que je ne puis me refuser à les insérer ici. C’est une femme qui parle :

Quand assise à douze ans à l’angle du verger,
Sous les citrons en fleurs ou les amandiers roses,
Le souffle du printemps sortait de toutes choses,
Et faisait sur mon cou mes boucles voltiger,
Une voix me parlait si douce au fond de l’ame,
Qu’un frisson de plaisir en courait sur ma peau ;