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faudrait la force réunie de soixante mille hommes de notre temps pour soulever seulement cette pierre, et les plates-formes des temples de Balbek en montrent de plus colossales encore, élevées à vingt-cinq ou trente pieds du sol, pour porter des colonnades proportionnées à ces bases ! Nous suivîmes notre route entre le désert à gauche et les ondulations de l’Anti-Liban à droite, en longeant quelques petits champs cultivés par les Arabes pasteurs, et le lit d’un large torrent qui serpente entre les ruines, et aux bords duquel s’élèvent quelques beaux noyers. L’Acropolis, ou la colline artificielle qui porte tous les grands monumens d’Héliopolis, nous apparaissait çà et là entre les rameaux et au-dessus de la tête des grands arbres ; enfin nous la découvrîmes tout entière, et toute la caravane s’arrêta comme par un instinct électrique. Aucune plume, aucun pinceau ne pourrait décrire l’impression que ce seul regard donne à l’œil et à l’ame ; sous nos pas, dans le lit du torrent, au milieu des champs, autour de tous les troncs d’arbres, des blocs immenses de granit rouge ou gris, de porphyre sanguin, de marbre blanc, de pierre jaune aussi éclatante que le marbre de Paros ; tronçons de colonnes, chapiteaux ciselés, architraves, volutes, corniches, entablemens, piédestaux, membres épars, et qui semblent palpitans, des statues tombées la face contre terre ; tout cela épars, confus, groupé en monceaux, disséminé en mille fragmens, et ruisselant de toutes parts comme les laves d’un volcan qui vomirait les débris d’un grand empire ! À peine un sentier pour se glisser à travers ces balayures des arts qui couvrent toute la terre ; et le fer de nos chevaux glissait et se brisait à chaque pas sur l’acanthe polie des corniches, ou sur le sein de neige d’un torse de femme ; l’eau seule de la rivière de Balbek se faisait jour parmi ces lits de fragmens, et lavait de son écume murmurante les brisures de ces marbres qui font obstacle à son cours.

Au-delà de ces écumes de débris qui forment de véritables dunes de marbre, la colline de Balbek, plate-forme de mille pas de long, de sept cents pieds de large, toute bâtie de mains d’hommes, en pierres de taille, dont quelques-unes ont cinquante à soixante pieds de longueur sur vingt à vingt-deux d’élévation, mais la plupart de quinze à trente ; cette colline de granit taillée se présentait à nous par son extrémité orientale, avec ses bases profondes et