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musical, elle crée dans l’œuvre une œuvre nouvelle qui a sa valeur, son importance, son charme, et distrait l’attention, au lieu de la concentrer.

La gloire de Mozart n’est pas seulement d’avoir excellé dans la mélodie, d’avoir maintenu sévèrement l’obéissance de son orchestre ; cette tâche difficile à remplir n’avait pas épuisé les forces de son génie ; il a voulu davantage ; il a trouvé pour chacun des rôles de son chef-d’œuvre une couleur individuelle et constante ; il n’a voulu que ce qu’il pouvait, il n’a voulu que dans les limites de son art, et sa volonté s’est accomplie. Ainsi, les mélodies qu’il met dans la bouche de Zerline sont coquettes, gracieuses, légères, simples, parfois même enfantines ; et ce caractère musical, une fois trouvé, ne se dément jamais. Ainsi, dona Elvira se lamente, accuse l’inconstance de son époux, lui reproche de l’avoir délaissée, mais elle ne s’élève pas jusqu’à la menace ; elle mêle toujours à ses plaintes et à ses regrets les accens d’un amour méconnu qui ne renonce pas encore à un avenir meilleur. Il y a dans sa tristesse, qui s’exhale en soupirs et en gémissemens, une sorte de résignation pieuse, qui semble demander à Dieu de ramener don Juan plutôt que de le punir. Dona Anna, plus énergique, plus hardie, porte dans sa colère toute la vivacité qu’elle aurait mise dans son amour. Elle a son honneur et son père à venger. Si elle invoque le ciel, c’est pour appeler la foudre sur don Juan. Ces trois physionomies si diverses, Mozart les a si nettement dessinées, qu’il est impossible de les confondre. Sans faire acception du ton dans lequel ces différens rôles sont écrits, si l’on place par la pensée un air de dona Anna dans la bouche de dona Elvira, ou un air de dona Elvira dans la bouche de Zerlina, on s’aperçoit bien vite que Mozart a mis bon ordre à ces caprices de transposition. L’individualité des thèmes qu’il a développés pour chacune de ces trois femmes, est si profondément empreinte dans le style de sa musique, il y a dans le rhythme et la mélodie un caractère si net et si tranché, qu’on ne peut impunément faire chanter à la fille du commandeur les notes qui appartiennent à la fiancée de Mazetto.

Cette même individualité n’est pas gravée en traits moins purs dans les rôles de don Juan, de Leporello, de Mazetto et d’Ottavio. Le chant de don Juan se colore successivement de toutes les im-