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a souvent vu l’usure à son chevet. L’opulence débauchée s’accommode très bien du désordre et du dénuement. Celui qui calcule et qui épie l’épuisement de sa fortune n’aurait pas grand’chose à faire pour calculer du même œil l’envahissement de la satiété et l’épuisement de ses plaisirs. Un libertin rangé n’est pas un libertin. Le vice réfléchi n’est qu’une monstruosité misérable, digne de mépris plutôt que de pitié, c’est un vieillard tremblant qui achète au bazar la pudeur affamée.

Tout en reconnaissant que le don Juan de Molière manque de grandeur et de poésie, je crois qu’il faut admettre la vérité du personnage tel qu’il l’a conçu ; il a saisi le côté réel et bourgeois plutôt que le côté idéal et poétique, mais il a traduit à merveille la part qu’il avait choisie. Une seule fois, dans Alceste, il lui est arrivé de s’élever au-dessus de la comédie, mais sa pénétration moqueuse s’arrangeait mal de l’invention des rôles énergiques. C’est pourquoi le don Juan de Molière, quoique vrai, n’a qu’une vérité partielle et incomplète.

Byron, en prenant pour sujet de son dernier poème le héros de Molière, l’a transformé selon ses goûts, l’a façonné selon le caractère particulier de son esprit. Molière avait fait don Juan joyeux et comique, Byron l’a fait satirique, insouciant, aventurier, sceptique, contempteur de Dieu et des hommes. Le don Juan de Byron est-il plus complet que celui de Molière ? Ne manque-t-il rien à ce page égrillard qui passe du lit de Julia au lit d’Haïdée, de Gulleyaz à Catherine, et qui vient enfin éteindre et assombrir sa verve railleuse parmi les bas-bleus de Londres ? La satire peut-elle, plus que la comédie, suppléer le drame ? Je ne le crois pas. Qu’on y prenne garde, le poème de Byron ne s’attaque pas seulement aux hommes, il s’attaque à la poésie elle-même ; c’est un livre prodigieux, mais une perpétuelle négation. Quand il arrive à Byron d’écrire deux ou trois stances d’idéale rêverie ou de passion sincère, c’est toujours avec l’arrière-pensée de couvrir de boue la statue qu’il vient de ciseler, de semer dans la fange les ruines du palais qu’il vient de bâtir. Il fait si bien par ses mordantes épigrammes et ses impitoyables sarcasmes, que le doute ne s’arrête pas aux lèvres de don Juan ; ce n’est pas la vertu seule qu’il met en lambeaux, ce n’est pas les seules croyances qu’il réduit en cendres. Quand il a déchiré