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vent rendu dans sa musique les sentimens les plus tendres et les plus délicats, mais jamais rien d’aussi intime ne lui a échappé. C’était comme une confidence que Mozart faisait au public. Plus tard, le compositeur arriva à une plus haute perfection sans doute ; mais ces airs de l’Enlèvement au sérail, il les préféra toujours comme le souvenir d’une heureuse époque. Les hommes tels que Mozart savent exprimer toutes les passions, et les trouvent ou les créent au fond de leur cœur, dès qu’il leur plaît de les rendre, et quand il composa le délicieux air de Chérubin, dans les Noces de Figaro, où ce vague besoin de sentir et d’aimer qu’éprouve le page, est exprimé avec tant de délire, Mozart était déjà un père de famille très calme et très sérieux. Ce bon fils, ce bon père, cet honnête et fidèle époux, où trouva-t-il l’expression de débauche et de rouerie infernale qu’il a donnée à Don Juan ? C’est là le don que les anges font aux poètes. Ils leur portent une clé du ciel et une clé des enfers, afin que rien ne leur soit caché.

Quitterons-nous ces hautes régions où s’épanouit le génie, pour révéler ses petites misères ? dirai-je que Mozart, qui avait charmé Vienne par son opéra, fut arrêté au moment de son départ pour Saltzbourg, où il voulait voir son père, non par l’enthousiasme de tout un peuple désolé de voir son musicien chéri lui échapper, mais par un créancier qui réclamait impitoyablement une dette de trente florins ? Mozart n’avait pas trente florins !

Mozart, qui manquait de trente florins pour payer ses dettes, se mit alors à composer en toute hâte un ouvrage qui l’occupa jour et nuit. Vous croyez que Mozart écrivait pour son créancier ? Nullement. Il travaillait pour satisfaire les créanciers de Haydn, son ami, qui était au lit, malade, et qui ne pouvait remplir l’engagement qu’il avait pris de livrer deux duos pour violon et basse. Le créancier de Haydn était pressant ; il menaçait de réclamer le prix de ces duos qu’il avait payés à Haydn, et Mozart, qui apprit cette circonstance en allant visiter son malade, rentra aussitôt chez lui, et se mit à l’œuvre avec tant de vigueur, que les duos parurent bientôt sous le nom de Haydn. Ces deux duos sont des chefs-d’œuvre dignes de Haydn et de Mozart, et jamais celui-ci ne les publia dans ses écrits. Ils furent religieusement conservés, comme un monument d’amitié et de dévouement, dans les œuvres de