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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

uns à Vienne ; mais je vous préviens qu’il faudra prendre quelque peine pour les rencontrer.

Établi dans Vienne, échappé enfin des cuisines de son patron l’archevêque, vivant avec Gluck et Haydn, reçu chez l’archiduc Maximilien, chez les Esterhazy, chez les Galitzin, doucement influencé par l’élégance, la joie qu’il voyait régner autour de lui, recevant tour à tour les impressions les plus opposées dans ses rapports avec les bourgeois les plus paisibles et les plus naïfs du monde et cette noblesse si vive et si animée, Mozart entra comme Raphaël dans une seconde manière. Sa musique devint plus variée, plus expressive, plus philosophique. Alceste et Iphigénie, qu’il étudia attentivement, lui révélèrent à lui-même des forces cachées, qui dormaient dans son ame, et qui se réveillèrent subitement. Gluck était un Bohémien comme Mozart prétendait l’être, il avait comme lui ce don mystérieux de conception musicale que Mozart a dit souvent n’avoir trouvé jamais qu’en Bohême, et Mozart découvrit sans doute dans ses ouvrages des secrets qui resteront peut-être toujours entre eux deux. Mozart ne cache pas qu’il apprit aussi beaucoup de l’immortel Joseph Haydn, qu’il nommait son maître. Ainsi, placé entre ces deux génies, l’esprit de Mozart put librement déployer ses ailes. Il reprit joyeusement sa plume, et écrivit sans s’arrêter l’Enlèvement au sérail, les Noces de Figaro, Don Juan, la Flûte enchantée, la Clémence de Titus, une masse énorme d’oratorios, de canons, de messes, de cantates, de symphonies, et enfin son Requiem. En ce temps-là on pouvait se donner un singulier spectacle à Vienne. Trois hommes se réunissaient de temps en temps à l’une des portes de la ville pour jouer aux quilles, grands joueurs tous trois, très âpres au jeu, mais un peu distraits, et fredonnant sans cesse tout en poussant leur boule. L’un d’eux se nommait Mozart, l’autre Gluck, et le troisième Haydn. En sortant de là, les trois amis s’en allaient écrire ce qu’ils avaient composé en jouant aux quilles. La partie de quilles avait produit les Noces de Figaro, Orphée et le fameux Stabat mater qui égale celui de Pergolèse !

Mozart se maria pendant qu’il composait la musique de l’Enlèvement au sérail. Il a répandu toutes les douceurs de la lune de miel dans sa partition. L’air du premier acte surtout exprime tout ce que Mozart éprouvait au fond de son ame. Depuis, Mozart a sou-