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les murs et les fauteuils. Dans cette triste circonstance, la patience m’échappa. Je commençai les variations de Fischer ; j’en jouai la moitié et je me levai. Ce fut un concert général d’éloges. Pour moi, je me mis à dire ce qu’il fallait dire, que je ne pouvais me faire beaucoup d’honneur avec ce piano, et qu’il me serait bien agréable de me voir appelé un autre jour pour jouer sur un meilleur instrument ; mais on ne m’écouta : il me fallut attendre encore une demi-heure, jusqu’à ce que vînt le duc, qui s’assit près de moi, et m’écouta, lui, fort attentivement ; et moi, — moi, j’en oubliai tout le froid, le mal de tête, et je jouai sur ce mauvais piano, — comme je joue quand je suis de bonne humeur. Donnez-moi le meilleur piano de l’Europe, mais une espèce d’auditeurs qui n’entend rien, ou qui ne veut rien entendre, ou qui ne sent pas avec moi ce que je joue, je perdrai tout courage. Au reste, je suis las des visites. À pied, les distances sont trop longues, et la boue immense, et en voiture, on a l’honneur de dépenser trois ou quatre livres par jour, et pour rien, car les gens vous font des complimens, et tout est fini. Ils me commandent pour tel ou tel jour, je joue, on crie : « C’est un prodige ! c’est inconcevable ! c’est étonnant ! et puis adieu. » Le découragement du pauvre Mozart ne fit qu’augmenter. Il composa une symphonie pour le concert spirituel du vendredi saint, et plusieurs autres morceaux ; mais dans le mépris qu’il avait pour les oreilles françaises, qui méritaient alors, il faut en convenir, toutes sortes de mépris, il dénatura sa propre manière et s’efforça de parler un langage assez vulgaire pour être goûté. En parlant de sa symphonie, Mozart disait : « J’espère que ces ânes y trouveront quelque chose qui leur plaira, car je n’ai pas manqué le bruyant premier coup d’archet, et c’est tout ce qu’il faut. C’est à en rire de pitié ! »

De sa retraite de Saltzbourg, le père ne cessait cependant de l’encourager et de le soutenir de ses conseils. Il le suppliait de ne pas se laisser intimider par la jalousie que Piccini et Grétry pourraient montrer contre lui ; il lui rappelait les obstacles qu’il avait eu à vaincre pour faire jouer ses trois opéras en Italie ; il l’engageait à écrire avec lenteur, à lire avec Grimm et Noverre les poèmes qu’on lui apporterait ; il le conjurait surtout de faire entendre ses morceaux à des connaisseurs et à les consulter. « Voltaire fait ainsi,