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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

et de toute sa modération, car la nature elle-même est notre ennemie dans ce cas, et quand on n’emploie pas toutes les forces de son esprit à se tirer du labyrinthe, il résulte souvent des malheurs qui ne se terminent qu’avec la vie, etc. »

Voici donc Mozart à Paris, logé avec sa mère, au quatrième étage, à l’hôtel des quatre fils Aymon, rue du Gros-Chenet, très heureux de dîner quelquefois chez le danseur Noverre, d’être reçu par la protection de Grimm chez Mme d’Épinay, très heureux surtout d’avoir une seule et unique écolière qui lui donne trois louis pour douze leçons. Il n’était plus question de rois et de princes. Mozart, sorti de ses langes, devenu un homme, et un homme de génie, était traité comme tel : on le dédaignait. Il faut dire cependant qu’il vit s’ouvrir devant lui quelques nobles salons. La duchesse de Chabot, entre autres, reçut chez elle Mozart. Voulez-vous savoir comment ? Mozart alla lui porter une lettre de recommandation de Grimm. On le fit attendre plusieurs heures, et un laquais vint enfin lui dire de revenir dans huit jours. Le huitième jour, Mozart était à la porte cochère de l’hôtel de Rohan. On le fit encore attendre, dans un vestibule glacé, puis dans un grand salon sans feu. La duchesse arriva enfin, le reçut avec une politesse extrême, et le pria de se mettre au piano, en l’avertissant de ne pas faire attention à l’instrument, qui n’était pas en bon état. Mozart répondit qu’il jouerait de grand cœur, mais qu’il lui était impossible en ce moment, tant ses doigts étaient engourdis par le froid, et il pria la duchesse de le faire conduire dans une chambre où il pourrait trouver un peu de feu. — « Oh ! oui, monsieur, vous avez raison. » Ce fut là toute la réponse de la duchesse, qui se plaça dans un fauteuil, et se mit à causer avec plusieurs messieurs qui firent un grand cercle autour d’elle. « J’eus l’honneur d’attendre encore une heure tout entière, écrivait Mozart à son père. Les fenêtres et les portes étaient ouvertes ; moi, légèrement vêtu, je me sentais gelé, non pas seulement aux pieds et aux mains, mais dans tout le corps, et la tête commençait à me faire mal. Je ne savais que devenir de douleur et d’ennui. Enfin, on me mit au piano, un piano distord et misérable. Mais ce qu’il y eut de plus fâcheux, c’est que madame la duchesse ne quitta pas un dessin qu’elle faisait, que la conversation du cercle alla son train ; et ainsi je jouai pour la table,