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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

comme la Clémence de Titus, la Flûte enchantée, les Noces de Figaro et Don Juan, c’était exiger un prix exorbitant. Pour toute réponse, le comte Seau engagea Mozart à aller faire un voyage en Italie. « Je ferai observer à votre excellence, répondit Mozart, que j’ai déjà passé seize mois en Italie, que j’y ai écrit trois opéras, et que j’y suis suffisamment connu. » — « Il me demanda alors, dit Mozart dans une de ses lettres, si j’allais me rendre en France. Je lui répondis que je voulais encore rester en Allemagne. Il comprit à Munich, et me dit en souriant avec satisfaction : Bon ! vous nous restez. Je répondis : Je serais resté volontiers, si votre excellence et son altesse avaient daigné m’accorder quelque chose pour mes compositions. — À ces paroles, il tourna son bonnet de nuit sur sa tête, et ne dit pas un mot. »

Maintenant voulez-vous savoir ce que c’est qu’un père qui aime son fils ? Vous avez lu des lettres du vieux Léopold Mozart, de ce bonhomme qui ne songe qu’à gagner quelques écus en montrant son fils chez les rois, qui trouve les baisers des princesses si stériles ; vous l’avez vu à genoux devant les grands, pleurant de joie quand ils daignent lui parler, tremblant quand ils se taisent. En voyant le peu d’estime qu’on fait du talent de son fils, il se redresse, il se hérisse, et lui envoie ce billet héroïque : « Tu peux désormais te montrer partout, excepté à Munich. Il ne faut pas se faire si chétif et se prosterner de la sorte ; non certes, cela n’est jamais nécessaire ! » Dès ce moment, ce vieil homme, froissé dans son orgueil de père par l’avanie que son fils a reçue à Munich, se montre sous un jour tout nouveau. On découvre alors que Mozart ne dut pas à son seul génie l’élévation de pensées qui l’empêcha de succomber sous les faveurs ignominieuses dont il fut l’objet dans ses premières années. Il dut souvent trouver des lumières et de bons conseils auprès de ce père en qui une dévotion outrée, l’avarice et l’esprit le plus minutieux laissaient encore assez de chaleur d’ame pour écrire la lettre que je viens de citer, et cette autre qu’il adressa à son fils à Paris : « Si tu prends la peine de réfléchir sérieusement à ce que j’ai entrepris avec vous autres, tous deux enfans, dans l’âge le plus tendre, tu me rendras la justice de dire que j’ai été un homme dans tous les temps, et que j’ai eu du cœur et du courage. Jusqu’à ce jour, nous n’avons été ni heureux ni mal-