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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

alla pieta, et l’admiration qu’éprouvent ses religieux auditeurs en voyant l’agilité prodigieuse de ses doigts est si grande, qu’on le soupçonne de sortilège, et qu’il est obligé de déposer son anneau, pour prouver que ce n’est pas un talisman qu’il possède. Enfin, il compose son premier opéra, Mitridate, qui fut joué à Milan. Il avait quinze ans alors, et quand ses doigts étaient fatigués de tracer des notes, il se reposait en faisant des cabrioles et des culbutes autour de sa chambre. L’opéra eut un grand succès, et fut représenté aux cris de Evviva il maestrino ! Il est vrai que le père avait pris ses précautions ordinaires pour s’assurer de la protection du ciel et de la sainte Vierge. Quelques jours avant la représentation il avait écrit à sa femme et à sa fille, qui étaient restées à Saltzbourg : « Le jour de Saint-Étienne, une bonne heure après l’Ave Maria, vous pourrez voir en pensée le maestro Amedeo, assis au piano dans l’orchestre, et moi dans une loge comme spectateur. À ce moment-là, faites donc des vœux pour un succès, et dites, pendant qu’on jouera l’opéra, une paire d’Ave et de Pater Noster. »

Ne trouvez-vous pas déjà dans cet évangile de l’enfance de Mozart, que je vous ai tracé, comme une lumière qui vous guide à travers les profondeurs de son génie ? L’enfant commence ses premiers jeux dans la cité la plus pittoresque de cette Bohême, dont l’histoire ressemble à un conte de fées. Ses yeux se sont à peine ouverts à la lumière, qu’il aperçoit autour de lui toutes les merveilles ; les papes, les empereurs, les rois et les reines le regardent avec admiration et se le passent d’un trône à l’autre, depuis Vienne jusqu’à Londres, depuis Rome jusqu’à Berlin. Quels songes éclatans et dorés durent voltiger sur le berceau de cet enfant ; mais aussi quel réveil ! En ce temps-là, on avait beau se nommer Mozart, produire des chefs-d’œuvre, se faire admirer dans toutes les cours, empocher quelques pièces d’or comme faisait le père du grand homme, on ne pouvait échapper aux amères humiliations de la vie d’artiste. L’artiste ne trouvait pas deux fois en sa vie des archiduchesses pour le relever avec bonté quand son pied timide et mal assuré le faisait choir en présence des princes. Et cette bonté même, quand on la lui témoignait, il l’avait achetée par de bien longues attentes, par de terribles heures perdues dans les antichambres, au milieu des laquais. Puis, quand enfin les portes du salon s’ouvraient pour lui, à quel