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COSMOGRAPHIE.

terre dans l’espace[1]. Rejetant le fluide aqueux de l’un et le fluide aériforme de l’autre, ils eurent recours tous deux à des hypothèses non moins étranges, qui nous expriment bien leur perplexité, et en même temps leur complète ignorance dans la physique du monde.

Xénophane, ne pouvant concevoir que l’air, quelque pressé qu’on le supposât, pût supporter une masse aussi lourde que la terre, crut se tirer d’embarras en supposant qu’elle avait la forme d’un cône prolongé à l’infini dans les profondeurs de l’espace, en sorte qu’elle ne remuait pas, ne pouvant aller nulle part[2]. Si le texte formel d’Aristote n’était pas là pour nous garantir la réalité de cette absurde opinion, on ne pourrait croire qu’elle fût entrée dans la tête d’un homme doué de quelque sens. Mais il n’y a pas moyen d’élever ici le moindre doute. Cette hypothèse, pour avoir une apparence plus scientifique que l’Atlas des poètes grecs[3], ou que le grand serpent des mythologues indiens, n’était pas beaucoup plus raisonnable. Quoi qu’il en soit, dans l’hypothèse que la terre est un cône d’une longueur infinie, il est impossible de concevoir[4] que les astres passent au-dessous d’elle dans leur révolution diurne. Xénophane fut donc, de toute nécessité, obligé d’admettre qu’ils tournent obliquement autour de la partie supérieure du cône terrestre, et de cette manière il fut amené par une idée spéculative dont il est l’inventeur[5] à la même théorie qui est admise dans la cosmologie indienne.

Il n’y a là évidemment aucune influence étrangère. L’idée de prolonger la terre à l’infini sous la forme d’un cône n’appartient

  1. Je préviens que, d’après l’autorité d’Aristote, je mets de côté des textes récens du faux Plutarque, de Diogène Laerce et de Pline, et que je refuse à ces deux philosophes la connaissance de la sphéricité de la terre.
  2. Arist. de cælo, ii, 13, p. 467. B. — Cf. Achill. Tat. Isag. § 4. — Pseudo-Plut. plac. phil. iii, 11. Je lis πρῶτος au lieu de πρωτην dans ce passage.
  3. V. mon Mémoire sur les idées cosmographiques rattachées au mythe d’Atlas. (Bulletin de Férussac. Partie histor. mars 1831.)
  4. Strabon le dit en faisant allusion à ce système (i, p. 13. — Tr. fr. t. i, p. 27, et la note de Gossellin.)
  5. Pseudo-Plut. ubi suprà.