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de poursuivre cette œuvre incomplète ; mais il fut surpris par la mort dans la force de l’âge et à peine au début de son travail. Cette histoire, une seconde fois inachevée, a été reprise par un Zurichois, M. Hottinger, qui se sentait digne par son talent de la tâche difficile de continuer Jean Muller. Son ouvrage retrace l’histoire de la Suisse au XVIe siècle, dans une des époques les plus intéressantes de ses annales. Les éloges que les critiques allemands ont décernés à ce livre en faisaient vivement désirer la traduction, que nous croyons destinée en France à un égal succès.

Dans la première partie de son histoire, M. Hottinger fait le récit des campagnes auxquelles les Suisses prirent part en Italie et en Allemagne. Depuis la guerre de Bourgogne, les Suisses étaient regardés comme invincibles : tous les souverains recherchaient leur alliance, et croyaient la victoire assurée lorsqu’ils avaient à leur solde quelques milliers de soldats suisses. Mais, au commencement du XVIe siècle, une tactique nouvelle s’était introduite dans l’art de la guerre. Les Suisses, enflés de leur succès, et, en général, peu portés aux innovations, conservèrent leur ancien système militaire : c’est ce qui explique les sanglantes défaites qu’ils essuyèrent dans leurs trois campagnes en Italie. L’histoire de la Suisse, à cette époque, présente un intérêt très général, et se confond avec l’histoire de la grande guerre que soutint François Ier avec les souverains ligués contre lui.

Les campagnes d’Italie furent suivies d’une guerre civile excitée par le mouvement religieux du XVIe siècle. La Suisse avait été violemment agitée par le protestantisme. Le papisme zwinglien avait triomphé à Zurich, à Berne et à Bâle. Les trois cantons primitifs prirent l’alarme, et formèrent avec Zoug et Lucerne une ligue pour la défense du catholicisme. L’irritation des deux partis devait produire la guerre civile. Les Zurichois y étaient excités par les prédications de Zwingli, qui ne cessait de répéter qu’il ne pouvait y avoir aucune sûreté pour les amis de l’Évangile, tant que les soutiens de la tyrannie n’auraient pas été abattus. Enfin, la guerre éclata à la suite du refus que fit le sénat zurichois de laisser arriver dans les petits cantons les approvisionnemens qui leur étaient nécessaires. Le résultat fut une défaite sanglante essuyée par les protestans, et dans laquelle Zwingli fut tué. Tous ces événemens sont racontés avec beaucoup de talent par M. Hottinger. Le récit de la bataille de Cappel et de la mort de Zwingli peut être placé à côté des plus belles pages de Jean Muller. On ne saurait aussi trop louer l’impartialité que M. Hottinger, quoique protestant, montre en jugeant les partis religieux : il n’hésite pas à déclarer que le triomphe définitif du christianisme lui paraît devoir être assuré, non par le protestantisme, mais par une réforme dans l’église romaine.

Le traducteur, M. Vulliemin, est déjà connu par quelques ouvrages sur l’histoire ecclésiastique. Cette publication se lie à un plan plus étendu : M. Vulliemin a formé le projet de traduire Jean Muller, Gloutz et Hottinger, et de continuer l’histoire de la Suisse jusqu’à nos jours. Cette traduction fait bien augurer de la suite de son travail ; elle est complétée par des additions qui annoncent une grande connaissance de l’histoire suisse. Peut-être pourrait-on lui reprocher quelques inversions un peu forcées, et quelques locutions qui semblent faire violence à la langue française ; mais c’est un défaut presque inévitable, et qui se trouve dans toutes les traductions fidèles d’ouvrages allemands.


Amédée Prévost.


F. BULOZ.