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de nommer des maréchaux en temps de paix, venait d’être adopté à une forte majorité. Un autre amendement de M. Félix Bodin, membre du tiers-parti, qui limite le nombre des maréchaux à douze, avait également passé sans opposition. Ces deux amendemens sont autant de coups de poignard frappés au cœur de M. Sébastiani, qui voit encore lui échapper ce bâton sur lequel il comptait pour soutenir sa débile vieillesse, et qui sera obligé d’attendre une vacance, à un âge où l’on n’a guère le temps d’attendre, ou de remporter une nouvelle victoire à Almanacid. La chambre semblait prendre goût à faucher ainsi les têtes dorées de l’armée, et la foule des lieutenans-généraux et des maréchaux-de-camp s’éclaircissait déjà, comme dans un jour de bataille, sous les coups meurtriers des boules du scrutin. C’est alors que M. Thiers, jugeant, en homme d’esprit, qu’il ne s’agissait que de gagner du temps et de laisser passer ce moment de fièvre, monta tranquillement à la tribune, après avoir pris conseil de M. Guizot, et se mit à lire, d’une voix encore plus menue et plus éteinte que de coutume, quelques projets de loi concernant des intérêts locaux tout-à-fait étrangers à la discussion. On sait avec quelle vivacité M. Dupin fit observer au ministre que la présentation de ces projets de loi était inconvenante dans un pareil moment. On sait encore avec quelle ardeur M. Thiers défendit la prérogative royale attaquée, disait-il, par M. Dupin. Opposer une simple observation au singulier procédé du ministre du commerce, c’était, selon lui, attaquer la prérogative royale, dont il donne une bien haute idée, en la faisant servir à des roueries aussi misérables. Jamais aux époques les plus fâcheuses de la restauration, on n’avait élevé de prétentions pareilles, et les plus anciens députés ne se souviennent pas d’avoir vu une discussion interrompue de cette manière. Aussi la chambre, toute difficile à émouvoir qu’elle soit, fit-elle éclater un mouvement général d’indignation, si fort et si hautement manifesté, que M. Thiers sentit sa faute, et ne lut pas même le texte de son premier projet de loi. L’effet de cette habile manœuvre du ministre et des lourdes déclamations de M. Barthe qui vint soutenir son collègue dans sa défaite, fut de faire adopter l’amendement qui réduit le nombre des officiers-généraux, et de priver M. Thiers d’un dîner qu’il devait faire le lendemain chez M. Dupin. La question du dîner fut discutée en conseil des ministres. On délibéra long-temps, et il fut décidé à la majorité que M. Thiers n’irait pas chez le président de la chambre. Cette affaire parut si importante aux Tuileries, qu’on en oublia, pendant tout un jour, les évènemens de Lyon.

Une autre affaire, non moins importante, a donné beaucoup d’embarras à nos hommes d’état. M. Gisquet, voyant avec quelle tyrannie M. Thiers