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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

sera décidé par l’absence et la trahison du premier, par la présence et les talens militaires du second. Mais à quoi bon ce récit ? Qui n’a pas lu le septième livre de Thucydide ? Qui n’a pas été saisi douloureusement par la peinture lamentable de la déroute des Athéniens, catastrophe sans limites et sans mesures, et qui semble n’avoir été égalée que par nos désastres au milieu des feux et des neiges de Moscou.

Après tant de pathétique, il n’y a de contraste puissant que la simplicité. Thucydide, dans le huitième livre, continue le récit des événemens avec une gravité plus austère encore, gravité qui convient aux malheurs d’Athènes, aux révolutions intérieures de sa démocratie. Ce huitième livre a été l’objet des plus singuliers jugemens : on a dit qu’il était indigne des précédens, que l’esprit de l’historien s’était affaibli, que cette décadence était prouvée par un style moins puissant et moins haut, et surtout par l’absence complète de harangues ; enfin quelques-uns ont avancé que ce huitième livre n’était pas de Thucydide. Pour démontrer la faiblesse de ces témérités erronées, je reprendrai les choses dans leur ensemble. Dès le principe de la guerre, Thucydide put avoir l’envie et même concevoir le projet d’en écrire l’histoire, mais il est vraisemblable qu’il ne se mit sérieusement à l’œuvre que lorsqu’il se vit exilé : neuf années avaient déjà coulé quand il commençait, avec la conscience et la possession de toutes ses ressources et de toutes ses pensées : alors il composa cette vaste introduction que nous avons si fort admirée ; il lui donna pour suite la peste d’Athènes, l’éloquence et la mort de Périclès ; cependant il était occupé à raconter les événemens qui remplissent le troisième, quatrième et cinquième livres, quand éclata l’expédition ou plutôt la catastrophe de Sicile ; l’historien vit son drame se compliquer par cet épisode si soudain et si douloureux ; il dut redoubler de soins, de patience et de génie ; les enquêtes et les informations devenaient plus difficiles et plus longues ; quelque chose de si nouveau, de si fatal et de si désespéré demandait à l’historien ses forces les plus énergiques et les plus concentrées, et l’art devait au moins, par sa puissance, égaler la grandeur de la catastrophe et de la matière. Thucydide écrivait cette expédition de Sicile, quand Athènes fut prise par Lysandre : dénouement