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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

le dégoût toutes les bruyantes fantasmagories, toutes les orgies sanglantes, toutes les bacchanales funèbres qui depuis quinze ans ont envahi le roman et le théâtre ? Est-il permis d’espérer, sans folie, que le public voudra jeter les yeux désormais sur une chronique découpée en chapitres, ou dépecée en dialogues ? Si le drame et le roman persévèrent dans cette routine stérile, avant peu les livres et les théâtres demeureront fermés, c’est-à-dire que tous les esprits sérieux s’en abstiendront.

Non que je veuille prétendre en aucune façon que la poésie ne doit pas toucher à l’histoire. Grace à Dieu, je n’ai jamais trempé dans ce puritanisme étroit, qui interdit à l’imagination le domaine de la réalité. Le mot de Marlborough ne prouve rien contre Shakspeare et n’a pas ôté un lecteur aux pages ingénieuses et disertes de David Hume. L’histoire ne s’apprendra jamais dans les romans ou les tragédies. Mais le dramatiste et le romancier ont le droit de restituer à leur manière les traditions incomplètes.

Pourtant, à l’heure qu’il est, je crois qu’il conviendrait de mettre en jachère pour quelques années le poème historique ; à force d’étudier les hommes modifiés par les temps et les lieux, nous avons presque oublié l’homme de tous les lieux et de tous les temps, l’homme éternel, immuable ; en scrutant les mœurs et les costumes de chaque siècle, nous avons oublié le type des passions cachées sous ces enveloppes variées ; nous datons à merveille l’amour et l’ambition ; mais c’est à peine si nous connaissons les ressorts de ces deux sentimens.

Le mal est constant, le remède se trouvera. Avant de revenir à l’histoire, c’est-à-dire à la variété visible, il faut aborder hardiment la philosophie humaine, c’est-à-dire le spectacle intérieur des passions ; variété non moins grande que la première, mais plus difficile à saisir, aussi réelle, quoique plus obscure, permanente et toujours comparable à elle-même. L’histoire sans la philosophie ne donnera jamais qu’une poésie misérable. Mais pour apercevoir l’homme dans les récits du passé, il faut négliger volontairement la draperie pour la statue. Il faut contempler long-temps la nudité vivante avant d’essayer les plis du manteau.

C’est pourquoi le roman et le drame ont deux choses à faire avant de reprendre l’histoire. Il faut d’abord qu’ils prennent l’homme