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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

soi, de vivre en soi-même comme dans un asile inviolable, de regarder la foule qui s’agite en bas, comme un pasteur ses troupeaux. Mais, comme le disait Bacon, pour s’en tenir à la solitude, il faut être moins qu’un homme ou plus que Dieu. À se nourrir perpétuellement de la contemplation de soi-même, on voit bientôt se troubler la sérénité primitive de ses pensées ; on ne se trouve plus si grand qu’à l’heure de la retraite ; bon gré mal gré, il faut revenir au monde et s’y renouveler.

Déjà la satire s’est élevée au lyrisme le plus haut ; cette fusion légitime de l’enthousiasme et de l’ironie entame glorieusement un nouvel avenir. Désormais on ne doit plus craindre que la pensée poétique s’appauvrisse ou se mutile en s’appliquant à la réalité. Le poète ne perdra rien de son individualité, en quittant les cimes solitaires de la méditation pour la tumultueuse arène. À la richesse de son langage, à l’énergie chaste et pénétrante de son regard, on le reconnaîtra facilement.

Le Curé de campagne réalisera, je l’espère, une partie de cette prophétie. Sans doute, nous y verrons l’alliance heureuse et féconde du réalisme de Crabbe et du lyrisme de Wordsworth. Nous y retrouverons les traits naïfs et vrais du Borough et la morale auguste et sympathique de l’Excursion. Cette analogie, que j’indique sans pouvoir la constater, ne conclut pas l’imitation ; loin de là, l’originalité du nouveau poème de Lamartine sera d’autant plus incontestable, qu’il aura cédé, malgré lui, à une inspiration pareille ; il n’aura pas dépendu de lui de choisir le sujet de ses études ; ce qu’il fera, il n’aurait pas pu ne pas le faire. L’identité du thème n’emporte pas avec elle l’identité du style. Si ç’avait été de sa part un pur caprice, il aurait pu emprunter à l’Angleterre les signes et les couleurs de son nouveau tableau ; mais comme il obéit fatalement au mouvement général des idées poétiques, il ne cessera pas d’être lui-même, en traduisant, sous un autre ciel, avec d’autres émotions, des pensées unies à celles du poète des lacs par une étroite parenté.

Je ne veux pas croire que Béranger garde fidèlement le silence auquel il s’est engagé : il pourra bien prendre en dégoût la lutte politique ; mais, à mesure que son sang s’attiédit et que son front se dépouille, il ne pourra se défendre d’exprimer sur les croyances