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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

pouvons-nous la suivre ? Si elle ne daigne pas écarter les ronces qui embarrassent le chemin, la prendrons-nous, pour guide ? Si elle s’assied au bord de la route, la consulterons-nous sur le but du voyage ?

L’ignorance qui s’avoue et se proclame est le point de départ le plus sûr vers la science qui reste à conquérir. L’ignorance qui se glorifie et s’absout est une nuit que rien ne peut dissiper, qui ternit toutes les lumières, une nuit éternelle.

En présence de la critique amoureuse du passé, on ne saurait se lasser de le répéter, malgré l’inévitable ridicule de cette naïve recommandation : le savoir, si profond qu’il soit, limité aux lignes extrêmes de certaines époques, ne dispense pas plus de l’étude des époques qui ont suivi que de celle des époques antérieures. Si la littérature du xve siècle n’explique pas, à ceux qui l’ignorent, la littérature du xiie, par quel hasard les idées littéraires contemporaines de Louis xi ou de François Ier révéleraient-elles aux hommes enfouis dans le passé l’intelligence de notre temps, sur lequel ils n’ont jamais jeté les yeux ?

Qu’ils ignorent, mais qu’ils s’abstiennent. Qu’ils occupent leurs loisirs à dérouler les bandelettes de leurs momies vénérées ; qu’ils adorent les images de ceux qui ont vécu. Mais qu’ils ne sortent pas de leurs cités souterraines pour blâmer à l’étourdie les choses qui se font au-dessus de leurs têtes.

Que fait au contraire cette critique rétrograde ? Comprend-elle son devoir et les limites de sa puissance ? Se résigne-t-elle de bonne grace au seul rôle qu’elle puisse dignement remplir, à l’interprétation du passé au milieu duquel elle a vécu ? Mon dieu non ! elle s’entête aveuglément dans une résistance inutile ; elle s’oppose de toutes ses forces au mouvement qu’elle ne conçoit pas. Elle s’en va furetant jour et nuit les poudreuses bibliothèques, pour demander aux morts des argumens victorieux contre les vivans.

Ainsi, sans tenir compte des besoins nouveaux, des transformations relatives des mœurs et des passions, auxquelles s’adresse la poésie, sans accepter les métamorphoses imposées à l’ensemble des idées littéraires par les progrès des études historiques, elle prétend immobiliser la pensée.

C’est une folie, je le sais bien, mais une folie inguérissable à ce qu’il semble ; car la critique de bibliothèque compte aujourd’hui