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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

tout ayant encore à parler de cet homme providentiel par lequel tant de grandes choses ont été faites en faveur du peuple allemand. J’ai montré comment il nous a fait arriver à la plus grande indépendance de la pensée ; Luther ne nous donna pas seulement la liberté de nos mouvemens, mais aussi les moyens de nous mouvoir. Il donna un corps à l’esprit, à la pensée il donna la parole. Il créa la langue allemande.

Cela se fit en traduisant la Bible.

L’auteur divin de ce livre paraît avoir su, aussi bien que nous autres, que le choix d’un traducteur n’est pas du tout une chose indifférente. Il créa lui-même le sien, et le doua de la faculté merveilleuse de faire passer son œuvre d’une langue qui était dès long-temps morte et enterrée, dans une autre langue qui était encore à naître.

On possédait, il est vrai, la Vulgate, qu’on comprenait, et les Septante, qu’on commençait à comprendre ; mais la connaissance de l’hébreu était complètement perdue dans le monde chrétien. Les Juifs seuls, qui se tenaient cachés çà et là, dans un coin de ce monde, conservaient encore les traditions de ce langage. Comme un fantôme qui garde un trésor qu’on lui a confié lorsqu’il était vivant, cette nation égorgée, ce peuple spectre retiré dans ses ghettos obscurs, y conservait la Bible hébraïque ; et l’on voyait les savans allemands se glisser furtivement dans ces culs-de-sac pour s’emparer du trésor de la science. Le clergé catholique s’aperçut qu’un danger le menaçait de ce côté ; voyant que le peuple pouvait arriver par cette route à la véritable parole divine, et découvrir les falsifications romaines, il s’efforça d’étouffer aussi les traditions des Israélites, et se disposa à détruire tous les livres hébreux. Dès-lors commença vers le Rhin cette guerre aux livres contre laquelle s’éleva si glorieusement l’excellent docteur Reuchlin. Les théologiens de Cologne qui agissaient alors, et particulièrement Hochstraten, n’étaient pas aussi bornés que le vaillant champion de Reuchlin, Ulrich de Hulten, les représente dans ses Litteroe obscurorum virorum. Il s’agissait de l’anéantissement de la langue hébraïque. Quand Reuchlin eut vaincu, Luther put commencer son œuvre. Dans une lettre qu’il écrivit à cette époque à Reuchlin, il semble déjà comprendre toute l’importance de cette victoire remportée par celui-ci dans une situation difficile et dé-