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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

dogmatiques, le soir venu, il prenait sa flûte, et contemplant les étoiles, il se mettait à fondre en mélodies et en pensées pieuses. Le même homme qui pouvait engueuler ses adversaires comme une poissarde, savait aussi tenir un mou et doux langage, comme une vierge amoureuse et passionnée. Il était quelquefois sauvage et impétueux comme l’ouragan qui déracine les chênes, puis doux et murmurant, comme le zéphir qui caresse légèrement les violettes. Il était plein de la sainte terreur de Dieu, prêt à tous les sacrifices en l’honneur de l’Esprit saint, il savait s’élancer dans les régions les plus pures du royaume céleste ; et cependant il connaissait parfaitement les magnificences de cette terre, il savait les apprécier, et de sa bouche est tombé ce fameux proverbe :

Wer nicht liebt Wein Weiber und Gesang,
Der bleibt ein Narr sein Lebenlang
[1].

Bref, c’était un homme complet, je dirai plus, un homme absolu dans lequel l’esprit et la matière n’étaient pas séparés, comme dans l’absolu des philosophes. Le nommer un spiritualiste, ce serait se tromper aussi fort que le qualifier du titre de sensualiste. Que dirai-je ? Il avait quelque chose de prime-sautier, d’originel, de miraculeux, d’inconcevable ; il avait ce qu’ont tous les hommes providentiels, quelque chose de terriblement naïf, quelque chose de gauchement sage ; il était sublime et borné.

Le père de Luther était mineur à Mannsfeld. L’enfant descendait souvent avec lui dans les entrailles du sol où croissent les puissans métaux, où coulent les sources primitives ; ce jeune cœur s’appropria peut-être à son insu les forces secrètes de la nature, et peut-être encore fut-il enchanté par les esprits de la terre. C’est de là sans doute que tant de matière terreuse, que tant de restes de la scorie des passions, lui sont restés accolés, comme on l’a souvent reproché à sa mémoire. On lui fait tort et injustice en cela, car sans tout ce mélange terrestre, eût-il pu jamais devenir un

  1. Quiconque n’aime ni les femmes, ni le vin, ni le chant,
    Celui-là est un sot, et le sera sa vie durant.