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plus beau de ses temples par le sensualisme, qui tirait de la grande quantité de concessions qu’on faisait à la chair les moyens de rendre un magnifique hommage à l’esprit ; ce triomphe, on ne pouvait le comprendre dans le nord, en Allemagne, car là, mieux que sous le ciel chaud de l’Italie, il était possible d’établir un christianisme qui fît le moins de concessions possible à la sensualité. Nous autres, gens du nord, nous sommes d’un sang plus froid, et nous n’avions pas besoin d’autant d’indulgences pour les péchés charnels que nous en envoya notre bon père Léon x. Le climat nous facilite l’exercice des vertus chrétiennes. Le 31 octobre 1516, lorsque Luther afficha ses thèses contre les indulgences, sur la porte de l’église des Augustins, les fossés de Wittemberg étaient sans doute gelés, et on pouvait y patiner, ce qui est un plaisir très froid, et non un péché par conséquent.

À ces commencemens de la réformation de Luther qui en révèlent déjà tout l’esprit, je dois ajouter qu’on a conçu en France les idées les plus fausses au sujet de la réforme, et que ces idées empêcheront peut-être les Français d’arriver jamais à une juste appréciation de la vie allemande. Les Français n’ont jamais compris que le côté négatif de la réformation ; ils n’y ont vu qu’un combat contre le catholicisme, et comme ils ont combattu aussi contre cette croyance, ils se figurent aussi quelquefois qu’on soutient le combat de l’autre côté du Rhin, par les mêmes motifs qu’on avait en France. Ces motifs sont tout différens. La lutte contre le catholicisme en Allemagne ne fut qu’une lutte entreprise par le spiritualisme, lorsqu’il entrevit qu’il n’avait que le titre du pouvoir, quand il s’aperçut qu’il ne régnait que de jure, tandis que le sensualisme s’était sourdement emparé sous main de la domination réelle et gouvernait de facto. Les porteurs d’indulgences furent chassés, les belles concubines des prêtres furent remplacées par de froides femmes légitimes ; les séduisantes images de madones furent brisées, et un véritable puritanisme prit possession du pays. Le combat qu’on livra en France contre le catholicisme fut au contraire une guerre que le sensualisme entreprit, lorsque, se voyant souverain de facto, il ne voulut plus souffrir que le spiritualisme, qui n’existait que de jure, condamnât chacun de ses actes comme illégitimes et les honnît de la façon la plus cruelle. Au lieu de com-